Le parquet général a demandé jeudi devant la cour d'appel de Paris la confirmation du licenciement de la salariée voilée de la crèche privée Baby Loup, contredisant ainsi la Cour de cassation sur une affaire qui suscite un débat national.
Les magistrats rendront le 27 novembre leur arrêt sur ce conflit à la crèche de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) qui a relancé la bataille politico-judiciaire autour de l'application de la laïcité dans les sociétés privées.
La Cour de cassation avait suscité un vif émoi chez les défenseurs de la laïcité en annulant le 19 mars le licenciement de Fatima Afif, l'ex-directrice adjointe de l'établissement qui refusait de retirer son voile.
Le gouvernement, regrettant cette décision, avait envisagé de légiférer mais l'Observatoire de la laïcité a mis en garde contre une loi sur le voile dans les crèches.
Signe de l'enjeu, la cour d'appel a tenu jeudi une audience solennelle à laquelle ont siégé le procureur général François Falletti et le premier président de la cour Jacques Degrandi.
Mais Me Michel Henry, l'avocat de Fatima Afif, s'est interrogé sur l'impartialité de la cour, évoquant des "rumeurs de palais" selon lesquelles Jacques Degrandi était déterminé par avance à revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation.
En décembre 2010, le conseil des prud'hommes de Mantes-la-Jolie avait estimé que la direction de la crèche était en droit de licencier la plaignante pour "insubordination caractérisée et répétée" et "faute grave".
Mais la Cour de cassation avait cassé le jugement, soulignant qu'il s'agissait d'une crèche privée, que ce licenciement constituait "une discrimination en raison des convictions religieuses", et qu'il devait être "déclaré nul".
Dans ses conclusions, le procureur général, François Falletti, a pris le contrepied de la Cour de cassation.
UNE CRÈCHE PAS COMME LES AUTRES
S'il a reconnu que "la liberté religieuse est un principe fondamental", il a aussi considéré que le règlement intérieur de la crèche pouvait "poser des restrictions" au regard des missions de ses salariés, qui travaillent au contact des enfants et d'un public multiculturel.
Selon lui, la neutralité religieuse demandée aux salariés par l'association Baby Loup était "justifiée par la nature de son activité et du public pris en charge".
Des enfants de 55 nationalités étaient accueillis nuit et jour dans cette crèche "pas comme les autres" implantée dans un quartier extrêmement déshérité.
Le procureur général a donc demandé à la cour de rejeter toutes les demandes de l'ex-directrice, qui réclame plusieurs dizaines de milliers d'euros d'indemnités.
La salariée, de retour d'un congé maternité, avait annoncé son intention de garder son foulard au travail, essuyant le refus de la directrice, qui invoquait l'obligation de "neutralité philosophique, politique et confessionnelle" inscrite au règlement intérieur. Fatima Afif avait été licenciée en 2008.
L'avocat de l'ex-directrice, Me Michel Henry, a plaidé qu'il s'agissait de juger non pas "un fait de société mais la régularité d'un licenciement".
Il a également dénoncé le décorum choisi pour juger l'affaire, des pressions, et "un aspect sous-jacent de xénophobie anti-islamique" chez ceux qui se sont rangés derrière la direction de la crèche.
L'un des avocats de la direction de Baby Loup, Me Richard Malka, a estimé pour sa part que la cour avait "un débat de société crucial à juger" et a appelé la cour d'appel à "résister à une décision de la Cour de cassation".
"Votre décision marquera une étape dans la construction ou la déconstruction de la laïcité dans ce pays", a-t-il dit. "Si on accepte le voile, pourquoi pas la burqa ?", a ajouté l'avocat en demandant une réaffirmation du caractère "laïc de la société."
Richard Malka a souligné que depuis l'arrêt de la cour de cassation, il y avait eu une "galvanisation des revendications islamiques", en particulier à Chanteloup-les-Vignes.
En conséquence, a-t-il dit, la crèche a décidé de déménager et de s'installer en début d'année à Conflans-Sainte-Honorine.
Edité par Sophie Louet
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