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 La technique est-elle neutre ?

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3 participants
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Maika

Maika


Messages : 13
Date d'inscription : 15/07/2011

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MessageSujet: La technique est-elle neutre ?   La technique est-elle neutre ? Icon_minitime15/7/2011, 22:49

Bonsoir ;

Je me permets de poster ce sujet, qui ne fut autre que mon sujet à l'oral d'on-sait-où.

J'avais le choix entre ce sujet et "Y a-t-il des vertus intellectuelles ?"

N'étant pas tant Aristote que Bergson, j'ai donc choisi le sujet sur la technique, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Je vous révèlerai mes angles de réflexion par la suite.
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GIBET
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GIBET


Messages : 11790
Date d'inscription : 19/01/2010
Age : 76
Localisation : Finistère

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MessageSujet: Re: La technique est-elle neutre ?   La technique est-elle neutre ? Icon_minitime16/7/2011, 03:07

je te ferais une proposition très vite mais ce soir (ou ce matin ) il est un opeu tard pour approfondir
GIBET
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Tirésias

Tirésias


Messages : 438
Date d'inscription : 24/01/2010
Age : 37

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MessageSujet: Re: La technique est-elle neutre ?   La technique est-elle neutre ? Icon_minitime16/7/2011, 13:42

J'espère que tu n'as pas omis de citer Gorgias de Platon.
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Maika

Maika


Messages : 13
Date d'inscription : 15/07/2011

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MessageSujet: Re: La technique est-elle neutre ?   La technique est-elle neutre ? Icon_minitime18/7/2011, 22:41

Non je n'ai pas cité le Gorgias. Je ne suis pas très platonicien.

En fait - je n'avais qu'une petite heure de préparation - j'ai envisagé le sujet sous l'angle double de la science et de l'art, rejetant d'entrée la morale qui m'eût conduit à déblatérer des lieux communs.
Il m'a ainsi fallu discuter en introduction le sens du terme "neutre" pour non pas en faire un élément d'une dialectique entre positivité et négativité, mais davantage au sens barthésien d'invisible ou caché.

Ainsi ma problématique se tournai-elle autour de ce qui fonde la technique comme une nécessité dans un processus de réalisation - en fait, de mise en réel (ou de recherche) -, posant de ce fait la question de la pertinence de ce réel achevé hors du domaine et de l'analyse technique.

Simplement, j'envisageai dans un premier temps un fondement nécessaire de la technique en tant que moyen de la réalisation.

J'ouvrai en disant que malgré la difficulté conceptuelle de l'association de l'oeuvre d'art et d'un résultat scientifique, une union était envisageable à travers le média que représente la technique entre le sujet et ce qu'il accomplit.
- La technique constitue une étape dans un processus (Alain, Système des Beaux-Arts : "l'artiste est artisan d'abord"). L'artiste est celui qui commet un geste et implique son corps dans l'oeuvre (Merleau-Ponty, L'Oeil et l'Esprit citant Valéry : "le peintre apporte son corps en peinture" ; "les Esprits ne peignent pas")
Il y a donc un aspect tout-à-fait physique de l'activité artistique, qui se fonde sur le geste mécanique, répété et perfectionné.
- D'où une référence à Aristote, dans L'Ethique à Nicomaque et au "c'est en forgeant que l'on devient forgeron" (en substance) avec un développement sur l'habitude et les vertus intellectuelles à partir duquel je donnai l'exemple d'un maître de forges calaisien qui discutait de la transmission des savoirs-fairs non pas par l'oralité des savoirs, mais par l'achoppement quotidien et depuis très jeune à la matière.
Le savoir technique est donc un préalable à toute oeuvre d'art, tout comme il est indispensable à toute démarche scientifique.
- En effet, je discutai de la construction technique et intersubjective des savoirs scientifiques prenant pour moi l'empirisme logique de Popper et sa volonté, dans La logique de la découverte scientifique de faire de la science "un système d'énoncés".
Voyant cette construction technique et discursive du savoir, je fis une référence à Lévy-Leblond (La Pierre de touche et son chapitre "Parler science", dans lequel il explique le sens du langage scientifique, qui est un savoir technique en cela qu'il n'est pas le résultat d'une démonstration scientifique, mais un moyen de construction discursive du savoir.

Ma transition se faisait l'écho d'un article de Bernadette Bensaude-Vincent (fondatrice du Parc de la Vilette), "science et opinion" qui analyse le fait de la discursivité du savoir scientifique et donc de sa technicité comme la principale de cause de la rupture science/opinion.

De ce fait, un second temps analysait la technique comme ce qui donne le principe mais pas le sens.
- En ce sens, la technicité du langage n'est pas neutre puisque discriminante. Par la construction d'un énoncé, cette technique du discours donne le principe de la connaissance par le fondement intersubjectif de la construction des savoirs scientifiques, mais elle ne donne pas le sens, puisqu'elle représente une forme d'hermétisme qui voilerait le résultat d'une recherche scientifique.
D'où la nécessité de la clarté technique elle-même, voire sa propre explication, ce qui me permettait de me référer à Foucault et ses différents articles sur la démarche de l'historien autour de la notion "d'évènement discursif" et du sens de l'utilisation sélective des archives. L'histoire est davantage une construction qu'une narration (J'ai pris l'exemple des controverses sur Vichy et la révolution épistémologique paxtonienne)
- La clarté de la technique correspond ainsi à son oubli, à son effacement, qui est en fait constitutif de sa naissance.
En effet, je me donnais comme exemple Bergson qui, dans L'évolution Créatrice, avec le concept "d'homo faber", pense la définition de l'homme par une intégration de l'outil à cette dernière : l'outil prolonge et définit l'homme, elle est ainsi intégrée dans notre pensée de l'homme, mais de ce fait oubliée et confondue.
- Pour finir cette partie, je proposais - de manière un peu polémique - de prolonger cette idée d'oubli constitutif de la technique avec l'analyse heidéggerienne dans Chemins qui ne mènent nulle part (article "De l'origine de l'oeuvre d'art") où l'on peut comprendre, à travers l'exemple des tableaux de Van-Gogh, que ces derniers révèlent "la vérité", c'est-à-dire "l'être-outil" d'une paire de souliers - l'art est alors le "se-mettre-en-oeuvre de l'étant", c'est à dire qu'il permet de voir l'invisible, l'outil, quotidiennement oublié.

Ici, c'est l'art qui donne un sens à la technique en la représentant, en l'affichant, en fait, en la faisant exister hors d'elle-même.

Mon ultime développement consista en la discussion de la technique comme élément du jugement : doit-elle faire partie de l'exercice du jugement ?
- D'abord j'envisageai le paragraphe 46 de la Critique de la Faculté de Juger où Kant affirme que l'art n'est beau que s'il est quasi-intention, en fait quand il ressemble à la nature (donc, quand il efface la marque de l'artiste). Mais, cette référence à la nature est ici un principe de perfection et ce qui rend possible le jugement esthétique ; l'oeuvre d'art ne doit pas montrer son intention de produire le beau, sinon le jugement esthétique ne se porte pas sur le beau en lui-même mais relativement à la technique de réalisation.
- D'où la nécessité de l'effacement de la technique pour permettre le jugement esthétique, ce qui me permis de poser finalement cette question : le jugement ne doit-il pas prendre en compte l'origine d'un résultat pour déterminer la valeur du résultat en lui-même ? En fait cela sonna le glas de l'union science/art, et acheva de les séparer du point de vue technique, puisque la technique, ainsi que je l'expliquai, constitue un élément du procédé expérimental qui valide la scientificité d'une démarche scientifique. Aussi, l'absence de technique est une absence de science ; Dans Qu'est-ce que la vie ?, Schrödinger théorise ce qui sera le fondement biophysique de la transmission des caractères héréditaires par le génome humain sous l'appellation de "cristal apériodique". Mais, sans les moyens techniques nécessaires, il ne put prouver ce qu'il avançait - ce qui sera fait quelques années plus tard.


En conclusion, la neutralité de la technique posait donc la question de sa place dans le jugement esthétique, ou la scientificité d'une démarche. Par sa nécessité, elle se constitue en objet d'analyse du jugement, mais la discrimination entre art et science laisse penser à différents modes d'intégration de la technique dans ces deux démarches différenciées et qui prouverait l'impossibilité de comprendre la technique en elle-même sinon associée à un autre domaine.
Elle ne serait donc pas neutre, par cela seul qu'elle est ce qui autorise le beau ou le vrai. Est-elle alors essentiellement positive ?




Je vous présente mes sincères excuses pour ce long, très long et heurté message, mais il m'aura au moins permis de recopier mon brouillon quelque part. Sans cela je ne l'aurais pas fait, et perdu.

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Tirésias

Tirésias


Messages : 438
Date d'inscription : 24/01/2010
Age : 37

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MessageSujet: Re: La technique est-elle neutre ?   La technique est-elle neutre ? Icon_minitime19/7/2011, 18:58

C'est très intéressant, merci d'avoir recopié ton brouillon.

Cependant, je n'aurais pas abordé le sujet de la même manière, mais plutôt de la façon Simone Manon, à savoir :

La neutralité consiste à ne pas prendre parti dans le choix des valeurs et dans la détermination des fins. Se déclarer neutre revient à affirmer qu’on est étranger à tout parti pris, qu’on ne s’engage ni dans un sens ni dans un autre, l’orientation prise par le cours des choses relevant d’une responsabilité extérieure à soi. Revendiquer un statut de neutralité revient avant tout à proclamer son innocence.

La question est de savoir si la technique peut se prévaloir d’un tel statut. Peut-elle, comme le veut Gorgias, être innocentée des usages qui en sont faits ? Est-elle un simple moyen et comme telle jouit-elle d’une neutralité de principe ou bien celle-ci n’est-elle qu’une apparence, bien vite dissipée par l’examen des faits ? Que signifie Gorgias lorsqu’il défend la neutralité de la technique et pourquoi cette thèse est-elle sophistique ?

La neutralité de la technique : la thèse de Gorgias.

De paternité sophistique cette thèse est exposée dans le Gorgias de Platon. Sommé par Socrate de s’expliquer sur son art, la rhétorique, Gorgias répond que la rhétorique est une technique, or une technique étant un simple moyen, elle est, par définition, innocente des fins pour lesquelles on peut la mobiliser. Gorgias défend une conception purement instrumentale de la technique. Ex : Un couteau est un simple moyen. Il est neutre moralement. Il est disponible pour n’importe quel usage (celui du boucher, du chirurgien ou de l’assassin) et cet usage dépend d’une responsabilité extérieure à celle du coutelier. « Les criminels, affirme Gorgias, ce ne sont pas les maîtres (en rhétorique), ce n’est pas l’art non plus…il n’y a pas lieu à cause de cela de le rendre coupable ou criminel ; non, les criminels, à mon sens, sont les individus qui font un mauvais usage de leur art ». Gorgias 457a. Platon.Argument d’une grande force. On pense à l’analyse de Marx dans le livre III du Capital où il rappelle aux ouvriers qui, dans des mouvements de révolte cassent les machines, que ce ne sont pas les machines qu’il faut détruire. Elles ne sont que de l’intelligence et du travail humains. Il n’y a pas d’aliénation technique, il n’y a d’aliénation que politique et ce qu’il faut détruire, c’est la société industrielle capitaliste qui se sert des machines à des fins d’exploitation humaine. L’argument de la neutralité a donc toutes les apparences du bon sens. Implicitement Gorgias distingue, comme dans le mythe de Prométhée, deux compétences hétérogènes : la compétence technicienne et la compétence politique et morale. Il suggère l’idée d’une hiérarchie naturelle entre les deux ; la première devant être mise au service de la seconde.

A première vue son analyse semble indiscutable. Pourtant qu’en est-il dans les faits ? Contre la trop belle évidence de la neutralité de la technique, ne peut-on pas la soupçonner de se prévaloir d’une fausse innocence ? A bien observer les choses, elle ne semble en effet ni neutre, ni entièrement maîtrisable. Quels sont donc les arguments propres à pointer le caractère sophistique du discours de Gorgias ?


1) Il est faux de dire que la technique est en soi étrangère à toute valeur.

Elle a sa fin propre : l’efficacité. Le technicien s’efforce de mettre au point le moyen produisant le maximum d’effets avec le minimum de dépenses. Cette rationalité inhérente à la technique est déjà une position de valeur dont la connivence avec les intérêts économiques n’a guère besoin d’être soulignée. L’efficacité technique et la rentabilité économique vont de pair. Le moyen technique impose donc à son usager une valeur, préalablement à tout choix de sa part. L’ustensilité de la technique détermine l’utilisateur à faire de l’efficacité la valeur de son action. Rien d’étonnant donc que, dans un monde dominé par la technique, cette valeur ait envahi tous les domaines : il faut être aujourd’hui, pédagogiquement, érotiquement, politiquement, économiquement, sportivement efficace. « Le phénomène technique est la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps de rechercher en toutes choses, la méthode absolument la plus efficace » écrit Jacques Ellul dans Le Système Technicien.


2) Il est faux de prétendre qu’un moyen est un simple moyen.

Tout moyen sert implicitement une fin et la fin de la technique est le pouvoir. L’activité technique est l’activité par laquelle les hommes s’assurent la maîtrise de la nature par un ensemble complexe et évoluant de moyens. Le mythe de Prométhée l’établit : la technique est l’artifice ingénieux grâce auquel des êtres démunis se dédommagent de leur indigence naturelle et adaptent la nature à leurs exigences. Ils n’ont pas de griffes mais ils fabriquent des outils. Marcuse remarque en ce sens : « Ce n’est pas seulement son utilisation, c’est bien la technique elle-même qui est déjà domination (sur la nature et sur les hommes), une domination méthodique, scientifique, calculée et calculante. Ce n’est pas après coup seulement, et de l’extérieur, que sont imposés à la technique certaines finalités et certains intérêts appartenant en propre à la domination – ces finalités et ces intérêts entrent déjà dans la constitution de l’appareil technique lui-même. La technique, c’est d’emblée tout un projet socio-historique ». Industrialisation et Capitalisme. 1964. Voilà pourquoi Heidegger écrit que « l’essence de la technique n’est rien de technique » La Question de la technique dans Essais et Conférences 1953. Son essence est métaphysique. Elle est une manière de dévoiler le réel, comme ce qui doit être arraisonné c’est-à-dire mis à la raison, provoqué, exploité, mis en demeure de livrer une énergie qui puisse être extraite et accumulée. Avec les moyens techniques modernes (centrale hydraulique et non plus moulin à vent) la nature, la société, l’homme, sont appréhendés comme ce sur quoi on doit intervenir dans un but agressif et dominateur. Ce qui, évidemment, n’est pas neutre. D’autres rapports au réel sont possibles. On peut, par exemple, le chanter à la manière du poète, interroger son sens à la manière du penseur, s’émerveiller de son mystère, ce que l’essence de la technique risque de nous faire oublier. Heidegger montre ainsi, que la technique a investi la science moderne. Chez les Anciens, la science est contemplation, méditation. Le savant antique est un homme qui, avec son œil et le langage s’efforce de construire une représentation cohérente et unifiée du réel. Le savant moderne est un technicien armé de tout un appareillage, qui somme le réel de répondre à ses questions en intervenant sur lui. Si l’objet de la science antique est le corrélat d’un voir, celui de la science moderne est le corrélat d’un faire. Ce n’est plus un objet à contempler, c’est un objet à manipuler.


3) Il est faux de prétendre que l’ordre des moyens n’est pas partie prenante dans la détermination des fins, même dans l’hypothèse d’une autonomie de l’autorité politique et morale.

La maîtrise d’un moyen peut permettre à l’homme de se donner des fins que l’absence de moyens interdisait d’envisager. Ex : Aucun Etat ne peut instituer le contrôle des naissances tant qu’on ne dispose pas des moyens de contraception. C’est la raison pour laquelle Platon considérait que la technique ne peut avoir sa place dans une cité qu’à deux conditions :

Elle ne doit y être admise qu’après jugement.
Le Roi Thamous, dans le mythe du Phèdre 274c, incarne la souveraineté de l’ordre politique et moral. Sa vocation est d’examiner les techniques afin de se prononcer sur l’opportunité ou non de leur donner droit de cité. Il les soumet à son contrôle et par là signifie qu’ils ne les considèrent pas neutres. Il y en a d’utiles et de nuisibles, de dangereuses ou d’inoffensives. Il va ainsi refuser l’art qu’apporte Teuth, l’inventeur de l’écriture, car il voit dans cette technique une menace de destruction de la mémoire et un péril pour la pensée vivante. Manière de signifier que toute médiation comporte le risque d’une aliénation. La calculatrice dispense de savoir calculer, le programme informatique de correction des fautes de maîtriser la langue, le téléphone de savoir écrire.

Une fois admise, une technique doit restée à sa place c’est-à-dire être soumise aux fins du politique.
Le Roi Thamous symbolise donc le Roi Soleil, la puissance du Bien garante de l’ordre légitime. Si son magistère est nécessaire, c’est bien que la technique n’est pas inoffensive. Elle peut induire des effets pervers qu’il faut savoir anticiper afin de ne pas être condamné à les subir. Il s’ensuit que Platon dénonce, par avance, dans le Phèdre, la subversion technocratique où le techniquement possible décide du moralement souhaitable, la faute de la technocratie consistant à substituer à l’ordre politique et à la délibération citoyenne non pas le gouvernement du neutre mais le débordement des fins par les moyens.

« SOCRATE: Ce qu’on m’a donc conté, c’est que, dans la région de Naucratis en Egypte, a vécu un des antiques Dieux de ce pays-là, celui dont l’emblème consacré est cet oiseau qu’ils nomment l’ibis, et que Theuth est le nom de ce Dieu; c’est lui, me disait-on, qui le premier inventa le nombre et le calcul, la géométrie et l’astronomie, sans parler du trictrac et des dès, enfin précisément les lettres de l’écriture. Or, d’autre part, l’Egypte entière avait pour roi en ce même temps Thamous, qui résidait dans la région de cette grande ville du haut pays que les Grecs appellent Thèbes d’Egypte, comme Thamous est pour eux le Dieu Ammon. Theuth, s’etant rendu prés du roi, lui présenta ses inventions, en lui disant que le reste des Egyptiens devrait en bénéficier. Quant au roi, il l’interrogea sur l’utilité que chacune d’elles pouvait bien avoir, et, selon que les explications de l’autre lui paraissaient satisfaisantes ou non, il blâmait ceci ou louait cela. Nombreuses furent assurément, à ce qu’on rapporte, les observations que fit Thamous à Theuth, dans l’un et l’autre sens, au sujet de chaque art, et dont une relation détaillée serait bien longue. Mais, quand on en fut aux lettres de l’écriture :

« Voilà, dit Theuth, la conaissance, ô Roi, qui procurera aux Egyptiens plus de science et plus de souvenirs ; car le défaut de mémoire et le manque de science ont trouvé leur remède! » A quoi le roi répondit: « Ô Theuth, découvreur d’arts sans rival, autre est celui qui est capable de mettre au jour les procédés d’un art, autre est celui qui l’est, d’apprécier quel en est le lot de dommage ou d’utilité pour les hommes appelés à s’en servir! Et voilà maintenant que toi, en ta qualité de père des lettres de l’écriture, tu te plais à doter ton enfant d’un pouvoir contraire de celui qu’il possède. Car cette invention, en dispensant les hommes d’exercer leur mémoire, produira l’oubli dans l’âme de ceux qui en auront acquis la connaissance; en tant que, confiants dans l’écriture, ils chercheront au-dehors, grâce à des caractères étrangers, non point au-dedans et grâce à eux-mêmes, le moyen de se ressouvenir; en conséquence, ce n’est pas pour la mémoire, c’est plutôt pour la procédure du ressouvenir que tu as trouvé un remède. Quant à la science, c’en est l’illusion, non la réalité, que tu procures à tes élèves: lorsqu’en effet, avec toi, ils auront réussi, sans enseignement, à se pourvoir d’une information abondante, ils se croiront compétents en une quantité de choses, alors qu’ils sont, dans la plupart, incompétents; insupportables en outre dans leur commerce, parce que, au lieu d’être savants, c’est savants d’illusion qu’ils seront devenus! »" PHEDRE, 274c-275b, traduction Léon Robin, Bibliothèque de la pléiade.


4) Il est faux de croire qu’il peut y avoir une autonomie de l’autorité politique et morale.

Non seulement l’activité technique n’est pas une activité subordonnée mais c’est elle qui, en grande partie, détermine l’évolution des sociétés. L’observation de notre monde dément la hiérarchie idéale décrite par Platon. Ce qui semble autonome c’est le développement scientifique et technique, et c’est lui qui « mène la danse ». Le possible détermine l’humainement souhaitable et non l’inverse.

Que le moyen détermine les fins et les valeurs s’atteste, par exemple, dans la profonde transformation de notre monde par l’informatique. Les modes d’organisation du travail, les rapports humains, le mouvement de la mondialisation, etc. sont induits par ce nouvel outil.

La mise au point du téléphone portable détermine un monde où, sans réflexion sur l’utilité ou non, sur le caractère nocif ou non, les hommes se sont donné comme fin d’utiliser cet instrument. Cet exemple révèle que la prolifération des techniques ne procède même plus d’une demande préalable. Le besoin ne préexiste plus, il est au contraire suscité par l’inventivité technicienne. De nouvelles possibilités proprement futiles sont ainsi ouvertes. En témoigne la définition du gadget : « Objet nouveau, inattendu, généralement petit et parfois très sophistiqué qui ne répond à aucun besoin et ne remplit aucune fonction objectivement assignable ». Futiles ou terriblement dangereuses (Ex : le clonage). Aurons-nous la liberté de résister à la tentation de ces nouveaux pouvoirs ou faut-il dire avec les pessimistes que la loi de la civilisation technicienne est : « Ce qui peut être fait le sera » ou « Toutes les combinaisons possibles entre les techniques disponibles seront exhaustivement tentées » ? Loi dite de Gabor.

Régis Debray montre dans des analyses très fines que les objets techniques sont les embrayeurs de nouveaux mondes culturels. La découverte de l’imprimerie ouvre la période qu’il appelle graphosphère (dont la Réforme, la Révolution de 1789 et de 1917 sont les produits). La graphosphère est aujourd’hui, en train d’être supplantée par la vidéosphère. Cette évolution s’opère sous nos yeux et nous constatonsqu’il n’est pas en notre pouvoird’enrayer le processus. Il est irréversible. Qu’on le veuille ou non, une nouvelle société, un nouvel ordre mondial, un nouveau type d’homme se profilent. Le milieu technique, que Debray appelle la médiasphère, est bien aux hommes ce que la biosphère est aux animaux et aux végétaux. On lui appartient plus qu’on ne le maîtrise. Invention humaine, la technique est en retour ce qui invente l’homme et son monde. « La technogenèse est la face externe de l’anthropogenèse (…) l’hominisation s’opère par extériorité (…) l’objet pousse le sujet à se dépasser. Il le démultiplie, l’intensifie, l’allonge » affirme Régis Debray.

Marx établit que l’autonomie de l’ordre politique et moral est une illusion. C’est l’infrastructure matérielle, technique d’une société qui détermine, à ses yeux, ses superstructures juridiques, politiques et idéologiques.
Ex : « Au moulin à bras correspond la société féodale. Au moulin à vapeur la société bourgeoise ».

Les moyens techniques ne sont donc pas neutres. Ils induisent certaines formes d’organisation sociale du travail.
Ex : Le simple outil requiert l’habilité et l’énergie d’un opérateur (civilisation artisanale). La machine se prête à l’action automatique (civilisation industrielle).

Les moyens techniques induisent aussi les grandes transformations institutionnelles.
Ex : Les esclaves doivent l’abolition de l’esclavage, bien davantage à la performance des machines qu’à la bonne volonté des maîtres, les femmes doivent leur libération plus à la machine à laver le linge et la vaisselle qu’au progrès moral des esprits.

Aristote l’avait prophétisé : « Si les navettes tissaient d’elles-mêmes la toile, si l’archet tirait spontanément les sons de la cithare, alors les architectes n’auraient pas besoin d’ouvriers, ni les maîtres d’esclaves ». Politique. Livre I.


5) Enfin, on peut se demander si l’efficacité technicienne et la rentabilité économique conjuguant leurs intérêts, la subversion de l’ordre rationnel des choses n’est pas la loi de notre monde.

En toute rigueur la technique et l’économie devraient être des moyens au service de fins humaines. Or on a souvent l’impression que l’homme n’est plus la fin mais le moyen d’un processus se poursuivant lui-même comme une fin en soi.
L’efficacité, l’utilité, la rentabilité semblent devenues les idoles de notre époque.
Or s’il s’agit d’être efficaces pour être plus libres et plus heureux, le philosophe ne peut que dire : « vive l’efficacité ! », mais s’il s’agit de sacrifier à un nouveau dieu, alors nous sommes vraiment pris au piège de l’absence de neutralité de la technique.


Conclusion :

Neutre en droit, la technique ne l’est pas en fait. Ce constat est une invitation à la vigilance. Non point qu’il faille condamner la technique. Sans pouvoir il n’y a pas de liberté et les fins de la liberté impliquent la maîtrise technique. Pourtant celle-ci n’est pas exempte de maléfices. Rançon de toute conquête de pouvoir, sans doute. Tout se passe comme s’il y avait une ivresse de la puissance matérielle l’incitant à s’illimiter et à se poursuivre comme une fin en soi. On a même parfois l’impression que par une espèce de séduction perverse, la puissance matérielle est de nature à anesthésier le souci de la valeur et du sens, à abuser l’homme au point de lui faire croire que le pouvoir le dispense de la sagesse. Ce que déploraient Jean Rostand en disant que « la science a fait de nous des dieux avant d’être des hommes » et Bergson en réclamant pour notre époque « un supplément d’âme ». Il s’ensuit que comme tout moyen, la technique ne vaut que ce que valent les fins qu’elle sert, et il est urgent de comprendre que la détermination des fins n’est pas compétence technicienne. Le souci des fins et des valeurs est compétence politique et morale et l’ordre rationnel veut que la première soit subordonnée à la seconde.
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