Chanson de Roland
( vers 1080 )
VI
Mort de Roland
( vers 2164-2396 )
Paien s’en fuient coroços ed iriét,
Envers Espaigne tendent de l’espleitier.
Li cons Rodlanz nes at dont enchalcier
Perdut i at Veillantif son destrier ;
Vueillet o non, remés i est a piét.
A l’arcevesque Turpin alat aidier :
Son elme ad or li deslaçat del chief,
So li tolit lo blanc osberc legier,
E son blidalt li at tot detrenchiét :
Des panz li at ses granz plaies leiét ;
Contre son piz puis l’at embraciét,
Sour l’erbe vert puis l’at soef colchiét.
Molt dolcement li at Rodlanz preiét :
“ E ! gentilz om, car me donez congiét :
Noz compaignons, que oümes tant chiers,
Or sont il mort, nes i devons laissier.
Jos vueil aller e querre ed entercier,
Dedevant vos joster ed enrengier. »
Dist l’arcevesques : « Alez e repaidriez.
Cist chans est vostre, la mercit Dieu, e miens. »
Les païens s’enfuient vers l’Espagne, pleins de rage. Roland ne peut les poursuivre : il a perdu son bon destrier Veillantif. Il va porter secours à l’archevêque, qu’il voit chanceler ; il lui délace son heaume doré, il lui enlève son haubert à mailles légères ; il coupe en morceaux son bliaut de soie et avec els pans il lui bande ses deux plaies ; puis il le prend dans ses bras, contre sa poitrine, et le couche doucement sur l’herbe verte. Il lui adresse une courtoise prière : « Gentil seigneur, donnez-moi congé. Nos compagnons, que nous aimions tant, les voilà morts : nous ne devons pas les abandonner. Je veux aller les chercher et els reconnaître, les placer et ranger devant vous, pour que vous puissiez les bénir. – Allez et revenez, dit l’archevêque ; par la grâce de Dieu, nous sommes, vous et moi, maîtres du champ de bataille. »
L’évènement qui a donné naissance à la plus ancienne chanson de geste ( longs poèmes qui représentent les exploits de personnages historiques ou fabuleux et qui, au XI° et XII° siècle, se proposent de donner des leçons de vaillance, de foi et d’humilité avant de devenir, au XIII° siècle, de simples romans d’aventure ) est celui-ci : le 15 août 778, l’arrière-garde de