« Il faut toujours, ce qu’évitent bien souvent de faire
les “spécialistes” de la Collaboration,
remettre les événements et les destinés dans leur contexte »
Entretien avec Paul-Louis Beaujour, auteur de
Jean Boissel et Le Front Franc ou La vraie vie du “Neuneuil” de Céline, Éditions Déterna, collection « Documents pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa
(entretien recueillis par Fabrice Dutilleul)
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à un personnage dont Philippe Randa, dans sa préface, écrit qu’« il y a comme lui des personnages historiques qui n’inspirent guère » ? Personnellement, j’ai toujours eu un faible pour ceux que Philippe Randa appelle les « seconds couteaux », et quand ils sont, en plus, vilipendés par quasiment tous les historiens, qu’ils soient de gauche (Rousso, Azéma, Gallo, etc.) et même de droite (Venner), on ne peut qu’être « interpelé », pour le moins, par une telle unanimité et se poser la question : « Mais qu’a donc fait ou écrit ce monsieur pour attiser une telle haine » ?
Pourquoi personne n’en avait-il eu l’idée plus tôt ?Je suppose qu’il est plus méritoire, entre autre financièrement, d’écrire la 1864e biographie d’Hitler, ou de ses « complices », ou bien la 235e étude sur la politique « diabolique » du gouvernement de Vichy, comme toute une clique d’universitaires féminines (de gauche évidemment) semblent s’être actuellement fait la spécialité…
Le portrait qu’en dresse Céline dans D’un château à l’autre est-il historiquement exagéré, outrancier… ou assez exact ?Les trois mon capitaine ! Exagéré, c’est certain, comme toute l’œuvre célinienne. Outrancier évidemment : le château est un roman ! Exact en partie, car les qualités réelles (fermeté, courage, autorité, dignité) de Jean Boissel sont bien présentes dans le passage du livre, et ses défauts (outrancier, paranoïaque, méprisant, délateur) également.
Jean Boissel mérite-t-il vraiment autant d’opprobre ?En 2015, dans notre contexte actuel de totalitarisme idéologique, Jean Boissel représente évidemment le repoussoir absolu ! Nazi, antisémite, anticommuniste, collabo, il a tout pour (dé)plaire : une cible presque trop facile… Il a pourtant fait, lui aussi, et avec ses modestes moyens, l’Histoire, et il faut toujours, ce qu’évitent bien souvent de faire les « spécialistes » de la Collaboration, remettre les événements et les destinés dans leur contexte : Boissel n’est pas arrivé là, en 1940, par hasard, du jour au lendemain, mais après avoir vécu toute la IIIe République, avec ses guerres, ses scandales, ses politiciens corrompus, ses « lobbies » omniprésents, son immoralité assumée… Boissel est un combattant, et un grand, il l’a prouvé en 1914-18 (3 citations, légion d’Honneur, mutilé à 100 %). En tant que tel, que l’on soit d’accord ou pas avec ses idées, il appelle un certain respect, le mien en attendant.
Quelle importance numérique et historique a eu le Front franc ? A-t-il été autre chose qu’un simple groupuscule radical ? Quelques centaines d’adhérents, mais avec des individualités passionnantes (Laschett de Polignac en particulier) et le FF participe quand même à la création officielle de la LVF ; historiquement, ce n’est pas rien.
Votre livre est-il une tentative de réhabilitation ? Ou simplement de compréhension ?Ni l’un ni l’autre. Il est écrit dans le but pédagogique de montrer aux jeunes générations, littéralement crétinisées historiquement par des décennies de propagandes étatique et médiatique, que toutes ces années, systématiquement, on leur a menti, et on continue de leur mentir, quotidiennement ! Car on n’explique pas Hitler sans le Traité de Versailles ; on n’explique pas le Maréchal et la Collaboration sans la défaite lamentable, l’exode insupportable, l’impréparation de l’armée française et le pouvoir des lobbies guerriers ; et l’on n’explique pas Jean Boissel si l’on a pas au moins une vague connaissance de cette pitoyable IIIe République. C’est ce que j’ai essayé, avec mes très modestes moyens, mais avec une passion qui j’espère les compense, de réaliser dans cet ouvrage.
Jean Boissel et Le Front Franc ou La vraie vie du « Neuneuil » de Céline de Paul-Louis Beaujour, préface de Philippe Randa, éditions Déterna, collection « Documents pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa, 254 pages, 29 euros.