Albéric de Briançon
( vers 1100 )
L’enfance d’Alexandre
( extraits )
Reys Alexander quant fud naz,
Per granz enseignes fud mostraz :
Crollet la terra de toz laz,
Toneyres fud et tempestaz,
Le sol perdet sas claritaz,
Per pauc no fud toz obscuraz,
Janget lo cels sas qualitaz,
Que reys est forz en terra naz.
En tal forma fud naz lo reys,
Non i fud naz emfes anceys,
Mays ab virtud de dies treys
Que altre emfes de quatro meys,
Sil toc ares chi michal peys,
Tal regart fay cum leu qui est preys,
Saur ab lo peyl cum de leon,
Tot cresp cum coma de toison ;
L’un uyl ab glauc cum de dracon,
Et l’altre neyr cum de falcon.
De la figura en aviron
Beyn resemplet fil de baron.
Clar ab lo vult, beyn figured,
Saur lo cabeyl, recercelad,
Plen lo collet et colorad,
Ample lo peyz et aformad,
Lo bu subtil, non trop delcad,
Le corps d’aval beyn enforcad,
Lo poyn el braz avigurad,
For lo talent et apensad.
Quand le roi Alexandre fut né,
De grands signes l’annoncèrent :
Le terre trembla de toutes parts,
Il y eut tonnerre et tempête,
Le soleil perd sa clarté
A peu qu’il ne s’obscurcisse tout à fait,
Le ciel change d’aspect
Car un roi puissant sur terre est né.
Le nouveau-né était d’une stature
Que nul enfant n’eut auparavant,
Il a plus de force à trois jours
Qu’un autre enfant de quatre mois ;
S’il approche rien qui lui déplaît mie,
Il lui jette un regard comme un loup qui est pris.
Il a le poil sor comme celui du lion,
Crêpu comme une toison,
Un œil glauque comme de dragon
Et l’autre noir comme celui du faucon ;
Par les contours de la figure
Il ressemble bien fils de baron.
Il a le visage bien clair, bien dessiné,
Le cheveu sor et bouclé,
Le cou plein et coloré,
La poitrine ample et bien formée,
La taille fine, mais non trop délicate,
Le bas du corps bien enfourché,
Le poing, au bras, bien vigoureux,
L’esprit fier et réfléchi.
Albéric de Briançon ( certains auteurs écrivent Pisançon, voire Besançon.) Il était originaire du Dauphiné. Vers 1100-1120, il écrivit, à partir de Quinte-Curce et de Julius Valrerius, auteur , au IV° siècle, d’une traduction latine d’un roman sur Alexandre, composé à Alexandrie au II° siècle, une histoire d’Alexandre le Grand, en dialecte roman. Il ne nous en est parvenu que 105 vers, en laisses de 6 à 8 vers octosyllabes monorimes. Un auteur poitevin, au milieu du XII° siècle, la remania en vers décasyllabes dont il nous reste 70 laisses. Puis, à la fin du XII° siècle, d’autres auteurs, comme Lambert le Tort, de Châteaudun, Alexandre de Bernay et Pierre de Saint-Cloud voulurent amplifier la version poitevine et choisirent, pour célébrer Alexandre, le vers de douze syllabes, auquel fut donné le nom d’alexandrin.