La vie de Saint Alexis
( extraits )
Bons fut li siecles al tems ancënour,
Quer feiz i eret e justise ed amours,
S’i ert credance, dont or n’i at nul prout ;
Ja mais n’iert tels com fut as anceisours.
Al tems Noé ed al tems Abraam
Ed al David, cui Deus paramat tant,
Bons fut li siecles, ja mais n’iert si vaillanz ;
Vielz est e frailes, toz s’en vait declinant,
Si’st empeiriez, toz biens vait remanant.
Puis icel tems que Deus nos vint salver,
Nostre anceisour ourent crestïantet,
Si fut uns sire de Rome la citet ;
Riches om fut, de grant nobilitet ;
Por çol vos di, d’un son fil vueil parler..
Ist de la nef e vait edrant a Rome :
Vait par les rues dont il ja bien fut cointes,
Altre puis altre, mais son pedre i encontret,
Ensemble o lui grant masse de ses omes :
Sil reconut, par son dreit nom le nomet :
Bon était le monde au temps des anciens,
Car y régnaient la foi, la justice et l’amour ;
Il y avait aussi la croyance dont on fait peu de cas aujourd’hui,
Tout a changé, le monde a perdu sa couleur :
Il ne sera plus jamais ce qu’il était du temps de nos ancêtres.
Au temps de Noé et au temps d’Abraham
Et à celui de David que Dieu aima tant,
Le monde était bon ; jamais il ne sera aussi vaillant
Il est vieux et frêle, en tout il décline :
Ainsi il a empiré, tout va bien cessant.
Après ce temps que Dieu nous vint sauver,
Nos ancêtres eurent la foi chrétienne,
Il y avait alors un seigneur de la cité de Rome ;
C’était un homme puissant, de grande noblesse.
Je vous dis cela, car c’est d’un sien fils que je veux parler..
Il sort du bateau et vint droit à Rome :
Il va par les rues qui lui étaient jadis familières,
L’une après l’autre ; enfin il y rencontre son père
Accompagné d’une grande foule de ses hommes ;
L’ayant reconnu, il le nomme par son vrai nom.
Thibaut de Vernon
( vers 1040 )
Adaptation Guy René Mermier et Sarah Melhado White, Librairie Champion.
Thibaut de Vernon ( vers 1030-1050 ).
Chanoine de Rouen, à qui l’on attribue la Chanson de Saint Alexis. Ce poème hagiographique ( écrit vers 1040 ), comprend 125 strophes de 5 vers décasyllabiques assonancés. L’auteur a suivi, en l’abrégeant, le texte d’une Vie en latin qui n’était elle-même que la traduction d’un petit roman grec. La Chanson de Thibaut de Vernon fut remaniée au XII°, XIII° et XIV° siècles.