A croire que les grands hommes de droite se cachent pour mourir…11 avril 2012
Les 10 et 11 avril 2012 resteront à jamais des jours sombres dans la mémoire du mouvement ouvrier international en général et dans celle du camp émancipateur français en particulier. A quelques heures d’intervalles, deux grands du siècle dernier nous ont quitté. Raymond
Aubrac est allé rejoindre sa Lucie dans le panthéon des héroïques combattants de la résistance contre le nazisme et les régimes à sa botte
de fer. Ahmed Bella, lui, est parti sur la pointe des pieds, comme étranger à la nation qu’il avait pourtant contribué à faire naître dans ces jours sanglants et enthousiasmants où le mouvement indépendantiste algérien menait vaillamment la lutte de tout un peuple pour son indépendance. Il n’est pas de lutte plus juste que celle qu’Aubrac et Ben Bella ont mené tout deux à leur manière : le combat des peuples pour
leur propre libération de la barbarie et de l’impérialisme. C’est toute notre classe -celle des opprimés- qui est orpheline aujourd’hui.
Né le jour de l’assassinat de Jaurès, le 31 juillet 1914, Raymond était comme prédestiné à la résistance contre « la loi du mensonge triomphant qui passe », pour reprendre l’expression de notre Jean. Raymond a lutté tour à tour contre la Wehrmacht, contre le régime de Vichy qui imposait alors la collaboration avec l’Allemagne nazie, contre certains résistants qui trouvaient « qu’il y a[vait ...] trop d’israélites » dans les organes de la France Libre, contre les bureaucrates socialistes, mais aussi communistes, qu’il empêchait par sa politique ouvrière de
rétablir l’État bourgeois dans la région marseillaise quand il y fut nommé Commissaire de la République à la Libération, contre les fauteurs
de guerre en Indochine puis au Vietnam, contre les observateurs complaisants et fatalistes qui affirmaient que le Maroc indépendant finirait par crever de faim, contre les gouvernements qui -plus récemment- se sont fait une spécialité de la traque des sans-papiers…
L’énumération de ses combats pourrait paraître sans fin et tel est le cas en vérité ! Résistant de la première heure, spécialiste de l’évasion, haut fonctionnaire d’un république qui se voulait sociale au sortir de l’horreur, diplomate de l’ombre qui contribua à mettre fin à la sale guerre des Américains au Vietnam, Aubrac était de cette race d’homme qui n’acceptait pas de marcher la tête basse. Un grand. Un de ceux qui, avec sa femme, n’ont cure des louanges et qui n’hésitait pas à affirmer qu’ils étaient parvenus au faite de la résistance intérieure « non en vertu de nos mérites, mais comme souvent dans les organisations clandestines, du fait du hasard, des contacts et de l’amitié ».
Ahmed Ben Bella était un des leurs. Lui aussi est devenu orfèvre en l’art de l’évasion, d’ailleurs… Quelle vie fut la sienne ! Combattant de
l’indépendance algérienne, premier président de la jeune république, apôtre de la socialisation des moyens de production dans un pays
sous-développé, partisan du panarabisme prôné par Nasser après la crise de Suez, mais aussi… milieu de terrain de l’Olympique de Marseille, dans sa jeunesse, pendant la saison 1939-1940 ! Quel destin… Bien sûr, on a critiqué son autoritarisme en tant qu’homme fort du régime algérien de 1962 à son éviction par son second Boumedienne en 1965, parfois à juste titre, souvent pour jeter l’opprobre sur l’expérience socialisante dont il a été l’initiateur. Il n’en reste pas moins qu’Ahmed Ben Bella, emprisonné par le colonisateur français, puis par le régime qu’il avait dirigé, exilé en Suisse, revenu sur sa terre natale en 1990 seulement, était fait de l’étoffe des grands. D’ailleurs, malgré sa disgrâce, les
ailes de Ben Bella n’ont jamais été totalement brisées. Depuis son retour en Algérie, il militait activement dans les rangs altermondialistes et fut jusqu’à sa fin un défenseur acharné de la cause palestinienne. Ben Bella, défenseur des peuples opprimés, ou la cohérence d’une trajectoire politique qui paraît à bien des égards déroutantes.
Et les grands hommes de droite ? est-on en droit de rétorquer. A croire qu’ils se cachent pour mourir, puisqu’on entend jamais parler d’eux. La
vérité est simple. Ces gens-là sont des chimères, ils n’existent pas.
C’est pour cela que Sarko, en bon président-candidat, a été contraint de faire aujourd’hui l’éloge funèbre d’un résistant communisant dont il
est aux antipodes en tout point. Il aurait préféré en appeler aux mânes de Pinochet ou Maurras, mais -que voulez-vous ?-, il paraît que ce n’est pas porteur…
(
texte diffusé par "Démocratie et Socialisme")