1 - Se connaître soi-même ne signifie-t-il qu’on « est » définitivement ? C’est aborder la notion « d’Etre »!!
Héraclite prend la voie du récit allégorique pour expliquer sa notion "d’être" et de « non Etre » de manière intelligible en énonçant cette formule : « Nous entrons et nous n’entrons pas dans les mêmes fleuves, nous sommes et nous ne sommes pas »
« Ëtre » et «
n’être pas ». J’emprunte à Marcel Conche son explication claire de ce concept d’opposition : « Entrer dans un fleuve, par exemple dans la Loire, pour s’y baigner, cela ne se fait pas instantanément, cela demande du temps. Entre le moment où l’on met les pieds dans l’eau et celui où l’on s’y plonge tout entier, la Loire reste la Loire.
C’est du moins ce que nous disons et qui nous semble. En réalité pourtant, d’une minute, voire d’une seconde à l’autre, ni les eaux ni les rives ne restent les mêmes.
Certes, la Loire, au bout d’un bref temps écoulé, ressemble davantage à ce qu’elle était auparavant qu’elle ne ressemble à la Seine; mais elle n’est approximativement la même.
Nous entrons dans le même fleuve « Loire » parce que c’est pour nous le même : nous lui donnons le même nom.
Nous n’entrons pas dans le même fleuve « Loire » parce que, indépendamment de nous, il n’y a pas de réalité de « Loire » mais une mouvance ininterrompue, un changement continu que le langage ne peut absolument pas suivre dans sa variation.
Le langage, qui dit avec des mots définis, ne peut dire que les lois, qui seules sont stables, constantes, égales à elle- mêmes, non les êtres, car il n’y a pas « d’être » en réalité : il n’y en a qu’en apparence. »
« Ainsi dans la nature il n’y aurait que des processus » nous dit Marc Alain Ouaknin. Pour Héraclite la « réalité » est le non-être car la substance se fait continûment. Et pourtant nos mots coagulent cette réalité qui se crée perpétuellement.
Ainsi dans notre culture nous opposons le LOGO (mot) à l’ONTO (être). Et l’ontologie conjugue l’être et le langage pour le dire définitivement et de manière figée.
C’est le premier concept de réflexion que je propose, le mot fige l’idée . L’homme n’existe pas dans l’absolu il est une variation permanente et constante de l’Etre qui se construit et s’active. Comment pourrait-il se connaître s'il change à chaque instant?« On ne devient pas un autre homme » entre complètement dans cette philosophie de la continuité d’évolution et de transformation de l’homme qui pourtant ne change pas en apparence. Pierre ou Paul reste lui même à mes yeux. Mais qu’est devenue son essence ?2 – Evoluer perpétuellement signifie-t-il pour autant qu’on n'est pas toujours le « même »? Quelle est cette notion du « Même »?
« L’altérité » c’est le mot pour désigner la différence de l’autre moi-même, n’est possible, nous dit Lévinas, que si « l’Autre est autre par rapport à un terme dont l’essence est de demeurer au point de départ, de servir d’entrée dans la relation, d’être le Même non pas relativement, mais absolument. » En d’autres termes, si mes mots ne peuvent fixer un point de comparaison comment puis-je mesurer ce que je suis devenu par rapport à ce que j’étais avant ?
« U
n terme ne peut demeurer absolument au point de départ de la relation que comme « Moi ». Etre moi, c’est avoir l’identité comme contenu. Le moi est l’identité par excellence, l’œuvre originelle de l’identification . En effet, si avant toute évolution je ne sais pas identifier qui je suis, comment pourrais-je savoir si je suis resté le même ou si je suis devenu un autre ? Car si l’être est non être comme nous l’avons vu parce que glissant en permanence dans une évolution continue, il manquera la photographie de l’instantané pour mesurer la transformation accomplie.
Donc l’altérité a besoin de percevoir ce « Même » absolu pour se produire. Il faut donc partir à sa propre recherche selon la formule "connais toi toi même et tu connaîtras les Dieux" nous dit le temple de la Pythie de Delphes.
Le Moi et l’Autre, c’est-à-dire Autrui, se trouvent posés dans un face-à-face dans lequel ils demeurent absolument séparés ? Autrui ne rentre pas dans le présent du Moi il est un autre. malgré mon évolution le moi d’avant est encore le « moi » - Forcément comment pourrait-il en être autrement - mais il cherche à savoir qui est cet autrui qui s’impose à lui puisque «
tout a changé autour de lui ».
C’est peut-être Hegel qui peut nous aider à gérer cet « être » et ce « non-être » qui devient un autrui tout en restant moi. Hegel propose une dialectique qui introduit une triade. Quelle différence, se demande-t-il, pourrait-il y avoir entre être et non-être si l'être ne possède aucune qualité spécifique? Sa triade c’est d’affirmer qu’avec l'être et le non-être, existe «
le devenir ».
À l'intérieur du devenir, quelque chose change, quelque chose passe de l'être au non-être, et quelque chose retourne du non-être à l'être. Il y a ainsi une histoire. La négation est active et créatrice, elle est le moteur du devenir. C’est la démarche même de l’initiation qui déconstruit l’être pour le non être qui évolue en permanence pour construire un être qui n’est plus placé sur le même plan que le précédent.
Pour cela le non être a besoin d’une nouvelle identification. C’est son devenir qui se construit. Le vieil homme disparu le nouvel homme naît. Est-il pour autant autrui ou bien est-il resté le moi tel qu’il était avant ?
Bergson dans « La pensée et le mouvant » dit : « Toutes les activités individuelles ou sociales de l’esprit, la perception, la pensée, le langage, conspirent à nous mettre en présence d’objets que nous pouvons tenir pour invariables et immobiles pendant que nous les considérons, comme aussi en présence de personnes, y compris la nôtre, qui deviendront à nos yeux des objets, et par la même des substances invariables.. Ce sont là nos habitudes mentales.
Ainsi le moi d’avant l’évolution n’est plus, « il est » et « il n’est plus" comme aurait dit Héraclite car
« en nous tout change »
3 – Mais allant plus loin la question nous interpelle en posant le principe d’une
« construction de soi » dès lors est-ce le moi ou le soi que l’initiation construit ?
Le Soi signifie dans l'acceptation courante la personne, c'est-à-dire l’individu qui se désigne lui même. C’est la formule par laquelle « chaque moi peut parler de soi »
Mais Jung utilise le mot
soi pour distinguer une personne au-delà de ce qu'elle en perçoit (cette perception étant le moi).
Ce concept du
soi est utilisé en psychologie et en psychanalyse avec des nuances d'acceptions en fonction des courants de pensée. Je ne rentrerai pas si vous le permettez dans les finesses du concept.
Mais je pose la question d’emblée: Notre évolution permanente n’est–elle pas un retour du moi vers le soi créateur pour définir un autre moi ? N’est-ce pas cet aller et retour que nous vivons, confronté à des arbitrages constants pour que le moi qui évoluait avant à chacune des secondes ne soit plus sur la même ligne que le moi qui évolue dorénavant, comme un satellite qui aurait changé de hauteur ? Autrement dit, le moi s’évade de son identité vers l’autre, en tant que soi.
D'un point de vue
dynamique, cela pose deux interrogations sur le phénomène de la connaissance de soi:
- Nous soumettons nos contenus inconscients à une tension pour parvenir à la conscience sous forme de prise de conscience. Or lorsque celle-ci est rendue impossible par l'attitude du Moi Jung nous dit : attention, car le conflit des changements intérieurs peut mener jusqu'à l'éclatement des limites du Moi, c'est-à-dire à la psychose.
- D'un point de vue structural, le Soi est “la somme de tous les archétypes”. Il est donc à la fois l'archétype qui structure tous les autres, et celui qui est structuré par tous qui anime le processus d'individuation. La construction est fragile et la déconstruction dangereuse car déstabilisante. En avons-nous conscience ?
Ainsi la même démarche qui peut aider l’homme à construire son soi, peut aussi aboutir à une déconstruction sans solution et à un abandon du soi qui forcément détruit une partie du moi conscient. Voila une piste de réflexion que je vous soumets, car avons nous vraiment envisagé cette hypothèse de ce que nous pouvons provoquer par des introspection analytiques a la recherche du connais-toi toi même: une déconstruction définitive ou maladive du soi ?
3 - En conclusion, comment se connaître soi même si à chaque instant de l'apprentissage je considère un autre homme en évolution permamente quie je fais d'ailleurs évoluer par la connaissance du moi?
Rien ne fige l’homme dans une posture, sauf nos mots qui ne traduisent pas la réalité.
Pourtant soumis à une réflexion introspective qui va placer le moi actuel dans une déconstruction puis une reconstruction, l’homme va se raccrocher à son soi profond qui n’est pas toujours une solide fondation.
Ce soi est un libre arbitrage existentiel inconscient entre des archétypes qui ont modelé notre identité profonde. «
Ainsi tout change en nous » Le moi s’abandonnant et se déconstruisant va redonner un moi qui est la continuité du précédent mais sur un autre plan. Il a été soumis au moment de la recherche de "se connaître" à des impulsions extérieures, par la perception de l'environnement externe. Et donc
« Tout change autour de nous »Dès lors la recherche du point de connaissance de soi n’est-elle pas en définitive une forme d’homéostasie qui, en biologie, est la maintenance de l’ensemble des paramètres physico-chimiques de l’organisme qui doivent rester relativement constants (glycémie, température, taux de sel dans le sang, …) pour maintenir la vie ? Cette homéostasie est une condition absolue pour une vie libre et
indépendante par rapport à l’extérieur. en vrai existentialiste qui libère son "libre arbitre"
Ainsi, dans notre volonté de nous connaître nous même, ne tentons nous pas de mettre notre moi en état homéostasiques par rapport à la philosophie de l’Homme, nous conduisant à être un homme qui a changé de niveau, et qui peut enfin évoluer librement, à l’instar de notre corps biologique quand il est bien équilibré ?
Grâce à cette démarche nous pourrons alors nous épanouir dans un environnement où nous construirons notre nouveau soi, puisque nous aurions la sensation que spirituellement tout va bien.
Mais bien sûr cette démarche complexe pour se connaître soi-même rend totalement impossible la quête de la connaissance de l'autre qui ne se limitera qu'à la vison d'une enveloppe figée par le mot et inutile à tenter d'évaluer