Par quel bout culturel peut-on tirer la couverture à soi?
L’exception française, le salaire du patron et Péguy! PAR XAVIER ALONSO
«Nous sommes tout de même le pays de Montesquieu, de Maupassant et de Péguy!» L’affirmation émane d’une éminente journaliste française qui s’adresse au président du Sénat, Gérard Larcher. C’est un déjeuner de presse, dans le cadre magnifique du Palais du Luxembourg, à Paris, avec une brochette de journalistes européens. Le point de friction de l’interrogation n’est absolument pas la littérature ni la pensée française, mais les très hauts salaires des PDG des multinationales.
Fichtre, mais que viennent faire ces trois très hautes figures de la culture tricolore dans cette controverse, toute légitime, sur les rémunérations excessives? Mes collègues européens, tout comme moi, trop amoureux de la France pour céder au «French bashing», ne pipons pourtant mot face à cette curieuse logique qui voudrait que l’universalisme de la culture française se loge aussi dans les salaires des patrons! D’ailleurs, Gérard Larcher prend son temps pour répondre.
De notre côté, balayant d’un regard cette table magnifique dressée dans le salon de Bonaparte et de Joséphine, nous imaginons des phylactères sur les mines polies de nos confrères. Et si nous aussi convoquions nos grandes figures nationales à chaque assertion. Le doyen de ce Cercle de la presse européenne est Italien. Il joue facile, lui. «Moi qui viens du pays de Dante Alighieri, Machiavel et Cesare Pavese…» Il aurait eu l’amabilité de nous éviter les antiques Plutarque, Cicéron et Sénèque.
«Moi qui viens du pays de Goethe, Schopenhauer et Nietzsche», enchaînerait un journaliste allemand. Et là, hochement de tête à sa gauche. Cette autre correspondante d’un grand quotidien outre-Rhin n’aurait visiblement pas cité le même tiercé: «Tout de même! Heidegger, Kant et Thomas Mann!» Nous laisserions cette dispute entre germanistes.
Au bout de la table, la représentante de l’Espagne s’agiterait. «Moi qui viens du pays de Cervantès, de García Lorca et d’Ignace de Loyola…» Perso, je n’aurais pas cité un jésuite héros de la Contre-Réforme au pays de la laïcité, mais peu importe, car les représentants des îles Britanniques ricanent. On les sent, confiants, prêts à «name-dropper» du Shakespeare, du Dickens, du Orwell… Même la petite Irlande jouerait du menton: «Mon pays a vu naître Oscar Wilde, Samuel Beckett et James Joyce!»
Gérard Larcher s’ébroue et nous ramène à la réalité. Il ne prend pas vraiment position sur le polémique salaire de Carlos Ghosn, le PDG de Renault. Il noie le poisson. C’est la logique de la mondialisation, dit en substance le président du Sénat, avant de rassurer: mais la France restera toujours la France! Ça, c’est la réponse définitive à toute question qui intègre un «nous sommes le pays de…» Contre la mondialisation, l’entre-soi.