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 Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires

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4 participants
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Dark Lord

Dark Lord


Messages : 69
Date d'inscription : 11/01/2016

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MessageSujet: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime11/1/2016, 17:44

L'année dernière, j'ai produit deux histoires assez longues pour un site littéraire ET érotique. N'étant pas trop porté sur la description des scènes cochonnes, cela fut un défit intéressant. Je vous livre ici le premier chapitre de la première histoire... Si cela vous plaît, je vous posterai la suite sous forme de feuilleton.


CHAPITRE 1



TOUS POUR UNE





La salle de bal du palais du Louvre était dans une effervescence totalement inhabituelle. En ce mois de mai 1648, le Mazarin que l’on ne connaissait pas si prodigue, offrait un somptueux bal masqué en l’honneur de la reine et du petit roi.

Tout n’était là que prétexte, évidemment, comme toujours avec l’Italien. Il s’agissait en les réunissant en un même endroit de recevoir de manière non officielle, tout ce que le royaume comptait de ligueurs et de nobles fidèles au parti du Premier ministre et de montrer ainsi aux princes frondeurs que si Paris semblait acquis à leur cause, les provinces, elles, ne l’étaient pas. Il s’agissait, en outre, de faire fléchir les plus faibles d’entre eux et, à l’aide de cajoleries et de promesses, de les amener à changer de camp. Il fallait bien gagner la guerre contre l’Espagne, et pour ce faire, il fallait bien lever de nouveaux impôts et faire fléchir le parlement de Paris. Et la noblesse frondeuse s’y opposait… prétendument au nom de peuple.

Lissant sa fine moustache et souriant à tous, comme à son habitude, Mazarin se disait amèrement que c’était bien la première fois que les privilégiés s’inquiétaient du sort des petites gens.

Tout ce que le royaume comptait de gens célèbres était présent. Le prince de Beaufort, le cardinal de Retz, le duc et la duchesse de la Rochefoucauld, le prince de Conti, le prince de Condé, la duchesse de Longueville, mais également des artistes, des poètes, et bien d’autres, tous portant masques et déguisements, ce qui certes rendait toute identification compliquée, mais allait permettre aux entretiens que le Mazarin se promettait d’avoir, toute la discrétion voulue. Quant à la sécurité des lieux, elle avait été confiée à la garde des mousquetaires gris, sous le commandement du lieutenant d’Artagnan.

D’Artagnan justement déambulait tranquillement dans la salle, entre les groupes qui se formaient tout en laissant traîner ses oreilles un peu partout afin de reconnaître les invités. Une voix rocailleuse et bien connue l’interpella soudain :


•— Ventre-saint-gris, d’Artagnan, toujours à me surveiller !
•— Rochefort, vieille canaille ! Vous faites partie des invités ?
•— Eh oui… Un peu malgré moi, je dois bien avouer… Venez, isolons-nous un peu…

Après une fraternelle accolade, propre aux gens d’honneur que les aléas de la vie opposent sans qu’ils puissent se haïr vraiment, les deux anciens ennemis se mirent un peu à l’écart des autres.

•— Alors, Rochefort… qu’est-ce qui vous amène au milieu de ce repère de loups ?
•— Le Mazarin lui-même…
•— N’aviez-vous pas pourtant juré de le tuer de vos propres mains ?
•— Et mon serment tient toujours… Mais ne sortez pas tout de suite votre lame, je ne ferai rien ce soir. Cette hyène m’a fait sortir ce matin de mon cachot de Vincennes pour complaire à son futur ami le duc de Beaufort.
•— Diantre… Beaufort et le Mazarin ensemble…
•— Disons qu’il s’agit des prémices d’une longue négociation…
•— Qui va durer longtemps…
•— Au moins jusqu’à la mort du Mazarin…
•— Canaille, dit d’Artagnan en riant de toutes ses dents.
•— Non pas, mon ami… C’est de la politique. Rien de plus…
•— Je n’entends rien à ces choses-là… Je n’en ai pas le goût.
•— Et c’est bien là ce qui me peine… Si vous l’aviez, cela fait longtemps que vous ne seriez plus lieutenant. Vous valez mieux que ça, que diable…
•— Je sers le royaume, Rochefort…
•— Moi aussi… Mais on peut servir ses intérêts en même temps, et…

Des murmures stoppèrent la conversation de nos deux bavards qui se retrouvèrent au milieu d’un groupe d’invités. Venait d’entrer un couple sur lequel tous les regards s’étaient retournés. L’homme revêtu d’un costume vert à la mode du bon roi Henri, était brun, le pas assuré, un regard noir et dur dans lequel chacun pouvait lire des éclats de violence contenue. Mais c’était sa femme qui attirait d’emblée tous les regards. Elle aussi était brune, avec des yeux vert émeraude qui ne pouvaient laisser personne indifférent. Et sa robe était noire, et son regard semblait d’une tristesse infinie. Ses cheveux remontés en chignon laissaient apparaître un cou gracile que portaient de magnifiques épaules.

•— Ventre-saint-gris, quelle belle femme, dit Rochefort, mais quelle tristesse dans le regard. On dirait qu’elle porte le deuil.
•— C’est la princesse de Vendôme, répondit d’Artagnan d’une voix lourde.
•— Ah…
•— Dites-nous en plus, lieutenant… demanda un coq rouge sous le masque duquel d’Artagnan reconnut le cardinal de Retz.
•— Allons, Monsieur… C’est une histoire si triste.
•— Racontez, lieutenant… Les histoires tristes sont tellement poétiques…
•— Il y a quelques années, la princesse tomba amoureuse d’un mousquetaire, le chevalier d’Herblay.
•— Et alors ? demanda un moine au visage entièrement masqué.
•— Et alors, cet imbécile crut que leur amour était possible.
•— Mais tous les amours sont possibles, s’exclama une princesse indienne.
•— Ah Madame… Tous les amours sont permis, et tous les cocus le prennent bien, ici, en notre bonne ville de Paris. Mais la princesse était vertueuse, et elle voulut s’enfuir avec son chevalier.
•— De plus en plus intéressant, murmura Retz.
•— Le chevalier organisa leur départ pour Londres, ville dans laquelle il avait de nombreux amis et la protection du roi Jacques, à qui il avait rendu de nombreux services. Mais au dernier moment, tout fut découvert. Depuis, la princesse vit enfermée, sans avoir le droit de voir personne…
•— Et le chevalier ?
•— Il a quitté les mousquetaires et est entré dans les ordres…
•— Voilà une bien triste histoire, en effet… cela me rappelle…

Rochefort tira alors d’Artagnan par la manche.

•— Le chevalier d’Herblay, avez-vous dit ?
•— Oui…
•— Aramis, donc… Voilà qui est fâcheux.
•— Pourquoi cela, Rochefort ? Aramis n’est plus dangereux pour personne. Il se morfond dans son monastère.
•— Aramis est ici… Je lui ai parlé quelques instants avant de vous rencontrer.



***********



Encadrée par deux gardes du corps, Caroline de Vendôme regardait d’un œil indifférent tous ces gens qui dansaient et s’amusaient à grand bruit. Le prince Philippe avait été invité dans le bureau du Premier ministre, et l’entretient n’allait pas durer très longtemps, elle le savait. Ensuite, ils ne s’attarderaient pas à la fête. Ils rentreraient immédiatement, aussi vite qu’ils étaient venus, et elle retrouverait les murs de son château-prison. Elle vit alors un vieux prêtre s’approcher d’elle. Un de ces « hommes de Dieu » qu’elle détestait tant. Un de ces hommes qui entouraient sans cesse son mari et le conseillaient sur la meilleure manière de la garder en prison, qui l’accompagnaient dans ses promenades dans les jardins du château, qui lui interdisaient d’ouvrir la fenêtre en été… Un des gardes se planta devant la princesse et dit d’une voix forte, sans aucun souci de discrétion envers les autres convives :


•— Désolé, Monsieur. La princesse de Vendôme ne danse pas.
•— Imbécile, murmura le prêtre doucement derrière sa barbe hirsute qui paraissait plus grise que blanche à cause de la saleté. À qui crois-tu parler ? Je suis le confesseur de son excellence, et nous venons de tomber d’accord avec son mari sur le fait qu’une vraie confession lui serait agréable.
•— Mais…
•— Suivez-moi à la chapelle, Madame… Quant à vous, vous pouvez sans doute aller protester auprès de son excellence, ou qui sait, de la reine qui danse là-bas…

La princesse suivit le prêtre qui marchait à petit pas dans un long corridor. Elle était plus résignée que jamais, mais qu’importait après tout. Une confession de plus… Elle allait avouer, une fois de plus, la passion qui avait envahi son âme et son corps tout entier pour son beau chevalier. On allait lui dire que cela était un péché abominable aux yeux du Seigneur, un affront intolérable aux sacrements de l’Église, et qu’il fallait qu’elle expie. Et elle expierait, en attendant d’expirer.


•— Le confessionnal est loin d’ici, Madame… Si cela ne vous agrée, nous allons commencer la confession chemin faisant.
•— Comme il vous plaira…
•— Je vous écoute…
•— Pardonnez-moi, mon Père, parce que j’ai péché…
•— Non, non… Ne me demandez pas l’impossible. Il n’appartient qu’à Dieu de pardonner.
•— C’est pourtant ce que prétendent vos coreligionnaires.

Le prêtre se redressa soudain, ôtant sa capuche et sa barbe postiche…

•— Je crois plutôt que c’est moi, Madame, qui dois vous demander pardon de vous avoir tant fait attendre.
•— René !
•— Caroline…

Elle se réfugia immédiatement dans ses bras. Elle tremblait de tout son être, et elle le sentait trembler également… Leurs yeux se croisèrent, ils se noyèrent chacun dans le miroir de l’âme de l’autre. Leurs lèvres se frôlèrent, puis leurs bouches s’offrirent, leurs langues se mêlèrent, échangeant ce baiser qu’ils attendaient depuis plusieurs années. Puis, leurs bouches se séparèrent, et il lui embrassa le cou et les épaules tandis qu’elle lui passait passionnément les doigts dans les cheveux…


•— Oh mon amour… pourquoi… pourquoi prendre un tel risque ? Nous allons rouvrir nos plaies, et souffrir encore plus qu’avant…
•— Nous ne souffrirons plus, Caroline, plus jamais. Un carrosse et deux amis fidèles nous attendent dehors.

Soudain, Aramis se figea et porta la main à l’épée cachée sous sa robe de prêtre. Un homme en noir accourait en leur direction…


•— Rochefort ?
•— Partez vite, mon ami… Le prince est sorti du bureau du Mazarin. Il est furieux de la disparition de Madame, mais d’Artagnan le balade d’étage en étage. Vous avez peu de temps… Faites vite.
•— Alors… nous dirons quatre amis, car vous en êtes cette fois, Rochefort…
•— Votre histoire m’a bouleversé… Je ne suis pas qu’un tueur, j’ai aussi un cœur qui bat.
•— Puisse-t-il battre longtemps pour ce que vous faites… Un pour tous ?
•— Non, Monsieur… Cette fois, ce sera Tous pour Une.

Les deux amants sortirent promptement du Louvre devant lequel un carrosse et deux cavaliers attendaient. Ils montèrent à l’intérieur, claquèrent la porte, et le cocher démarra en trombe. La violence d’une secousse fit tomber Caroline aux genoux de son amant. Il se pencha pour la relever…

•— Non, mon amour… Laisse-moi donc faire, dit-elle en passant sa main dans l’entrejambe du chevalier.
•— Que fais-tu Caroline ?
•— Je cherche ton épée…

Elle dégrafa son pantalon et pris son sexe déjà dur entre ses doigts. Après avoir fait monter l’excitation d’Aramis à son paroxysme, elle remonta sa robe et vint s’asseoir sur lui. Elle était prête, elle aussi… elle sentit entrer en elle le sexe large et chaud de son amant, et se mit alors à l’embrasser à pleine bouche tout en déchirant le haut de son vertugadin.

•— Je veux ta bouche sur mes seins, mon amour… Lèche-les, suce-les, mordille-les…s’il te plaît… Oui… comme ça… Oui…

Ils jouirent tous les deux rapidement, presque immédiatement, comme les adolescents qu’ils étaient soudain redevenus… Puis, calmés, assis à nouveau l’un en face de l’autre, ils se contemplèrent longuement, sans avoir besoin de parler. Le temps qu’on leur avait volé n’avait rien changé ni dans leurs âmes, ni dans leurs cœurs. La vie recommençait…
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Largo Winch

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime11/1/2016, 18:21

Sacré coquin d'Aramis !
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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 03:30

Mon cher Pascal...Aramis, je reconnaîtrai ton style entre mille. Ton érotisme est plein de pudeur et tu écris comme un homme qui aime.
Alors oui offre nous la suite, il ne nous manque que ta guitare entre deux chapitres ...et un feu de bois qui crépite.
C'est ainsi que les copains écoutent, en partageant et le pain et le vin!
GIBET
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Dark Lord

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 07:25

Soit... Razz
Alors Chapitre 2 - D'Artagnan part en mission



Résumé de l’épisode précédent : « Tous pour une »

Au cours d’un bal organisé par Mazarin afin de rallier à lui les seigneurs de province contre les nobles frondeurs, Aramis parvient à enlever la femme de l’un d’eux qui lui a juré son amour quelques années auparavant…



__________________________




Quelques rayons de soleil réussirent à passer à travers les persiennes de la chambre, et l’un d’eux caressa doucement les yeux d’Aramis afin de le réveiller. Il se retourna fébrilement vers celle qu’il aimait et se détendit immédiatement. Elle était toujours là, il n’avait donc pas rêvé la nuit dernière… Combien de fois depuis toutes ces années s’était-il réveillé fébrile au milieu d’un cauchemar ? Elle était près de lui, il pouvait la voir, la respirer, l’embrasser, il s’approchait d’elle alors pour la prendre dans ses bras, et son image s’évanouissait tandis qu’elle murmurait en pleurant : « Hélas, mon bel amant, mon bel amour impossible, je ne peux plus être à toi… » Et il se réveillait alors, transpirant d’angoisse, et hurlant dans la nuit comme un loup blessé dans la cellule de son monastère jésuite.

— Le Diable te possède, René, lui avait dit l’abbé Coffin, son confesseur.
— Non pas le Diable, mon père… une femme.
— Est-elle belle ?
— Vous le savez bien.
— Est-elle amoureuse de toi ?
— Je n’en doute pas.
— Crois-tu en elle, plus qu’aux sacrements de notre sainte Église ?
— Oui mon père… Et je ne veux pas renoncer à elle.
— Tu es un imbécile, René.
— Je suis amoureux.
— Mais vas-tu te taire à la fin ; cesse d’être arrogant, par le Christ !
— Je sais bien, mon père, que vous me méprisez pour cela. Et je sais bien que jamais je ne sortirai de ce noviciat interminable… mais peu m’importe. Ma vie sans elle n’a pas de sens, elle n’aura donc pas de but.
— Tu dis n’importe quoi, mon fils. Certes, tu ne seras jamais un véritable homme de Dieu, ni sans doute un grand théologien, mais tu feras, si tu m’écoutes, un Jésuite très acceptable.
— Un Jésuite n’a pas le droit d’être amoureux.
— Hum… « En ces choses, il ne faut jamais vouloir établir une règle si rigide qu’il n’y ait de place pour des exceptions » a dit notre fondateur.
— Ce qui signifie ?
— Simule et dissimule… Tu es un homme, tu es donc pécheur et tu le resteras. Mais cesse donc de te répandre ainsi devant tout le monde. Seul Dieu a le droit de juger de la noblesse de tes sentiments. Si tu consacres ta vie au service du bien, crois-tu qu’il te reprochera ta passion somme toute bien humaine ?


Sous la férule du père Coffin, Aramis avait donc repris espoir. Il avait étudié comme on lui demandait, sans passion certes, mais avec suffisamment de sérieux pour pouvoir s’élever dans l’ordre des Jésuites. Il avait appris la patience, le double jeu, le langage codé, l’obstination, et durant tout ce temps, il avait préparé la fuite de Caroline.

Cela n’avait pas été simple. Il lui avait fallu déployer des trésors d’ingéniosité et apprendre à dompter ses émotions. Jusqu’au jour où Athos était venu lui rendre visite…


Athos avait changé. Il ne buvait plus, ou presque. Lui, s’en été vraiment remis à Dieu. Il avait cru qu’en tuant Milady, il tuerait dans le même temps le mal qui lui rongeait le cœur. Mais la plaie, en réalité, ne s’était jamais totalement refermée. Il avait besoin de faire retraite, et le hasard (mais dans ces circonstances, le hasard n’était-il pas la part de Dieu lui-même ?) l’avait ramené vers son ancien compagnon. Ainsi avaient-ils passé ensemble de longues heures à évoquer leur passé, leur amitié et leurs exploits. De longue heures également à évoquer d’Artagnan, le meilleur d’eux quatre, et Porthos, dont seule la taille de géant égalait la générosité.


Aramis finit par confier à son ami sa volonté de se battre pour retrouver sa bien-aimée. Athos n’approuva pas. Il avait pour sa part renoncé totalement à l’amour. Mais la détresse de son compagnon lui rappela la sienne, bien des années auparavant. Et Athos avait un cœur aussi noble que généreux. Il promit alors d’aider Aramis dans son entreprise. Et ainsi, nuit après nuit, un plan audacieux vit le jour. Ce plan que nous avons conté dans le chapitre précédent.


Aramis se retourna vers Caroline et la regarda dormir un long moment… « Qu’elle est belle, mon Dieu ! » Il s’approcha d’elle et déposa un chaste baiser sur son front. Elle ouvrit les yeux… elle sourit.

— René, tu es bien là… Ne me dis pas que c’est encore un de ces abominables rêves…
— Non, mon amour, tu ne rêves pas.
— Je n’arrive pas à y croire vraiment, tu sais…
— Laisse-moi te réveiller doucement, mon amour.


Il embrassa son cou langoureusement, puis se mit à lécher délicatement sa poitrine. Il s’attarda longuement sur la pointe de ses seins tout en la caressant entre les cuisses.

— Je t’en prie, mon amour, fais-moi encore ce que tu sais si bien faire. J’en ai tellement envie.
— Oui, ma chérie. Tout ce que tu voudras. Je suis à toi, tu te rappelles… pour toujours et à jamais.


Il posa alors sa bouche contre son intimité et commença à la laper doucement. Elle était trempée, et elle sentait bon. Il introduisit sa langue à l’intérieur, de plus en plus profondément, de bas en haut, puis de haut en bas tout en caressant ses jambes si douces.

— Oh, René… Tu es diabolique…
— Certainement pas, mon amour, j’aime ta chatte, c’est tout.
— Alors lèche-moi comme tu ne l’as jamais fait.
— Ma ch…
— Tais-toi s’il te plaît, ne dis plus rien. J’ai attendu depuis trop longtemps. Je veux ta langue à l’intérieur de mon corps… Plus vite, oui… comme ça…


Elle lui avait pris les cheveux et collait contre elle cette bouche avide de son sexe. Et Aramis, prêt à étouffer, n’en pouvait plus d’excitation.

— Pénètre-moi maintenant, mon amour. Je veux ton épée dans mon ventre, je veux ta bouche dans mon cou, je veux tes yeux dans les miens. Je veux que tu viennes en moi, que tu jouisses en moi…


Aramis s’introduisit alors dans le saint des saints. Il ne tarda pas à se sentir prisonnier à l’intérieur de sa belle princesse. Et il aimait ça… Il la regarda dans les yeux. Un voile semblait posé dessus. Dans ces moments-là, Caroline était si différente, si totalement transformée… Elle devenait l’incarnation d’une déesse païenne de l’amour, et c’était elle alors, qui bien que sous lui, contrôlait leurs ébats. Et il aimait ça… passionnément. Ils jouirent à nouveau ensemble, et leur cri de bonheur fut entendu au-delà des murs de leur refuge.




**************




Porthos laissa tomber sa tartine de rillettes dans son café et se leva d’un bond, prêt à monter jusqu’à la chambre des amoureux. Athos éclata de rire…

— Allons, Porthos… reste tranquille. Ces cris sont signe que tout va bien
— Voyons, Athos, personne ne crie comme ça, à moins de connaître les pires souffrances, répondit le géant interloqué.
— Tu crois ?
— Je n’ai jamais poussé ce genre de cri, moi !
— Toi ? Mais tu rugis comme un tigre dans ces moments-là, tu fais trembler les murs de la maison.
— Oh…
— Laissons-les profiter un peu de leurs retrouvailles. Nous n’allons pas pouvoir rester longtemps ici.
— Je croyais que personne ne connaissait cette demeure à Saint-Germain.
— Personne, sauf d’Artagnan…
— D’Artagnan est notre ami, Athos. Jamais il ne nous trahira.
— Cela fait presque vingt ans…
— Mais il nous a aidés à fuir, hier soir.
— Hier soir, il n’avait pas reçu d’ordre du Mazarin. Mais d’Artagnan est aux ordres de l’État, et j’ignore comment il réagira lorsqu’on lui donnera l’ordre de retrouver la princesse.
— Tu es sans cœur Athos ! Tu n’as aucune confiance dans tes amis. Moi, je sais que l’on peut faire confiance à d’Artagnan.
— Mon brave Porthos… Tu es sans doute le seul d’entre nous qui mérites d’aller au Paradis.
— Eh oui… déclara Aramis en descendant l’escalier de la chambre, heureux les simples en esprit.
— Que veux-tu dire par là, rugit Porthos ?
— Je veux dire que tu penses simplement, que tu ne passes pas ton temps à tergiverser ou à t’inquiéter pour des broutilles, et que cela te rend heureux. Si Athos et moi avions ce don de Dieu, sans doute serions-nous moins inquiets.
— Voilà pourquoi vous devriez m’écouter plus souvent.
— Mais la sagesse de Dieu est folie aux yeux des hommes, mon ami. Et si tu parles parfois comme un prophète, Athos et moi, hélas, n’avons pas cette capacité.
— Quoiqu’il en soit, si vous jugez qu’il est impossible de rester ici, je vous invite tous les trois dans mon domaine de Pierrefont.
— D’Artagnan le connaît également…
— Oui, sans doute, Athos… Mais mon domaine est gigantesque. C’est le plus grand domaine de toute la région.
— Et d’Artagnan est le plus malin de nous quatre.
— Eh bien, nous pouvons rester dans mon château dans ce cas, c’est le château le plus fortifié de tout le nord de la France.
— Et d’Artagnan est le meilleur lieutenant des armées du Roi.
— Aaaaah, mais cessez donc de m’agacer avec d’Artagnan !
— Allons, Porthos, d’Artagnan est le meilleur ami que nous n’ayons jamais eu, répondit Athos dans un fou-rire.




**************




Rochefort, tout habillé de noir comme à son habitude, se tenait devant Mazarin qui le scrutait du regard de derrière son bureau.

— Je ne sais pas quoi faire de vous, Monsieur le comte.
— Alors oubliez-moi, Cardinal.
— Vous oublier… j’y songe fortement.
— Mais si cette fois Son Éminence avait la bonté que ce ne soit pas dans un cachot…
— Je m’interroge… Toutes ces années de détention ne vous ont pas assagi, semble-t-il.
— Ventre-saint-gris, Votre Éminence… presque cinq ans de bonne vie à rattraper. Ne me demandez pas d’être sage immédiatement.
— Vous êtes toujours aussi vif, votre forme physique ne semble pas altérée…
— Mes cheveux et ma barbe ont blanchi.
— Faites comme moi : employez l’artifice des teintures italiennes… Mon cher comte, je vous laisserais bien libre comme me le demande le duc de Beaufort, mais je doute alors qu’il ne continue à négocier avec moi si je lui donne satisfaction.
— Puis-je me permettre de faire remarquer à Votre Éminence que si elle m’enferme à nouveau à Vincennes, les négociations risquent alors de s’interrompre…
— Je sais, Rochefort, je sais. Je pèse le pour et le contre…


Un garde entra et annonça à Mazarin l’arrivée du lieutenant d’Artagnan.

— Faites entrer, susurra Mazarin. Et vous, Rochefort, restez avec nous. Mais dans l’ombre, s’il vous plaît. Derrière ce paravent.


D’Artagnan entra, la mine austère et le visage fermé. Il avait passé la nuit entière à faire semblant de rechercher la princesse de Vendôme et son ancien compagnon. Il avait en outre dû subir les reproches et les insultes perpétuelles du prince… Les recherches avaient cessé au petit matin, et d’Artagnan avait dû reprendre son service sans dormir une seule petite heure.

— Ah, lieutenant… Dois-je vous dire combien je suis déçu.
— Et moi donc, Votre Éminence !
— Ne vous moquez pas de moi… Le chevalier d’Herblay est un de vos amis, et nous savons que c’est lui qui a agi cette nuit.
— Comment être certain ?
— Allons, un bal masqué, un déguisement, un enlèvement rocambolesque… cela sent l’intrigue d’un jeune fou à plein nez.
— Justement, Votre Éminence, le chevalier d’Herblay n’est plus un jeune homme.
— Et c’est bien là la dernière chance qui vous reste de me prouver votre fidélité, lieutenant. Prenez une compagnie de nos mousquetaires gris, et lancez-vous à ses trousses. Je veux ce chevalier mort dans moins d’une semaine, et la princesse « délivrée » ; j’insiste bien sur ce mot, lieutenant.
— Vous croyez sincèrement que la princesse a besoin qu’on la délivre ?
— Peu importe le mot employé, lieutenant… les affaires de cœur de ces deux fous ne pèsent rien face à la raison d’État. Allez, vous avez une semaine.


D’Artagnan sortit d’un pas prompt, contenant la colère qui l’envahissait. Mazarin sourit et se tourna vers le paravent derrière lequel attendait Rochefort.

— Monsieur le comte de Rochefort, je crois que j’envisage une solution capable de nous contenter tous les deux.
— Je suis à vos ordres, Cardinal.
— Je n’ai pas vraiment confiance en ce d’Artagnan… Il a certes rendu de grands services par le passé, mais son sens politique est étouffé par son sens de l’honneur. Ce qui est loin d’être votre cas…
— Effectivement, Votre Éminence.
— Suivez-le. Informez-moi de ses moindres faits et gestes. Et s’il retrouve les deux amants, ramenez-moi la princesse, par n’importe quel moyen.
— Êtes-vous certain que le jeu en vaut la chandelle, Votre Éminence ?
— Vous n’êtes pas là pour réfléchir au bien de l’État, Rochefort. Mais vous souhaitez ne plus retourner à Vincennes, n’est-ce pas ?
— Je suis à vos ordres…
— Eh bien remplissez votre devoir, mon ami. Et je saurai sans doute m’en souvenir durant les négociations qui auront lieu avec votre Maître…

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 10:20

Merci, à toi Dark Lord, de nous avoir replongés dans des aventures de cape et d'épée saupoudrées d'un érotisme vivifiant!!
Klary


Dernière édition par klary le 12/1/2016, 17:47, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 17:41

Cher Dark Lord tu renouvelles merveilleusement le style du roman courtois...qui pouvait être grivois.
Il est vrai que le 20è siècle a agrémenté l'érotisme d'une touche plus "technique" qu'elle l'était autrefois. Aujourd'hui c'est une photographie de l'action
La place de l'imagination y perd un peu mais c'est un renouvellement qui exige plus de "voir" qu'auparavant.
Le 21è siècle ne se pâme plus sur la blancheur d'une cheville.
Les petites touches que tu apportes sont parfaites car ces instants de voluptés doivent être rares ...afin d'être attendus!
Merci et bravo


Dernière édition par GIBET le 12/1/2016, 17:42, édité 1 fois
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Largo Winch

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 17:42

Atention Klary, si tu confonds Dark Lord avec Aramis, il risque de te faire goûter de sa lame... vivifiante !
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klary
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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 17:52

Vu le risque encouru, cher Largo Winch, j'ai hésité un bref instant avant de corriger l'impair...renonçant ainsi à une belle *paire* non méritée!!!

Klary Rolling Eyes
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GIBET
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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 18:27

Ah!! Aramis n'est-il pas en quelque sorte ici, le double de notre Ami Dark Lord: Janus en quelque sorte. Very Happy  Wink
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Largo Winch

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 18:31

Aramis ayant été mon pseudo sur quelque forum ancien, il me plairait d'être ce double bien membré que la main de Klary a attribué à Dark Lord... Mais n'anticipons pas !
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Dark Lord

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 18:42

Bon, puisque c'est comme ça, je vous inflige la suite...


Résumé des épisodes précédents :


« Tous pour une »

Au cours d’un bal organisé par Mazarin afin de rallier à lui les seigneurs de province contre les nobles frondeurs, Aramis parvient à enlever la femme de l’un d’eux qui lui a juré son amour quelques années auparavant…


« D’Artagnan part en mission »

Tandis qu’Athos, Porthos et Aramis cherchent le meilleur moyen de prendre la fuite, Mazarin a demandé à d’Artagnan de retrouver les fugitifs, et à Rochefort de surveiller d’Artagnan.



__________________________




Le comte de Rochefort n’était certes pas le Diable, mais il était pragmatique et il servait le duc de Beaufort. S’il avait prévenu nos deux amants la veille au soir, c’était moins par compassion que par calcul politique. En favorisant la fuite de la princesse de Vendôme, en effet, il mettait à mal l’alliance entre le Mazarin et le prince, qui lui-même avait forte influence sur les seigneurs du Loiret. La colère de ce dernier faisait perdre au cardinal un peu plus de son crédit, déjà bien entamé, auprès de la noblesse de France.


Depuis quelques minutes, la donne avait changé. S’il ramenait la princesse au bercail, son maître pourrait dès lors en tirer quelques substantiels avantages. Dès lors, Rochefort décida d’accomplir sa mission, mais seulement en partie. Une fois entre ses mains, Caroline de Vendôme deviendrait l’invitée du duc de Beaufort afin de servir de monnaie d’échange. Nul doute alors que le commandement des armées royales reviendrait alors au duc, et dans le même temps son pouvoir se verrait renforcé au Conseil du roi. À partir de là, tous les rêves étaient permis, y compris celui de forcer la reine à démettre finalement le Mazarin de sa charge de Premier ministre.


Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas la duchesse de Longueville qui venait à sa rencontre. Frondeuse, cette blonde incendiaire soutenait le cardinal de Retz dans son ascension vers le pouvoir. Elle savait bien entendu tout de ce qui liait Rochefort et le duc de Beaufort, sauf ce qui venait de se tramer dans le secret du bureau du Mazarin. Mais, confiante en son immense pouvoir de séduction, renforcé en cette occasion par les cinq longues années d’abstinence du comte, elle fondit sur lui tel un faucon sur sa proie.

— Rochefort, quelle surprise… et quelle joie de vous revoir enfin.
— Tout le plaisir est pour moi, Madame…
— Allons, vilain flatteur. Il y a plus de cinq ans que nous ne nous sommes vus… Le temps est impitoyable sur les femmes, savez-vous.
— Le temps n’a pas de prise sur les dieux, Madame… Et vous faite partie de leur famille.
— Vous par contre, vous avez changé, Rochefort. Vos cheveux gris et votre barbe blanche vous donnent un air de sagesse qui renforce votre charme naturel.
— Hum… Voilà des mots bien enjôleurs. M’est avis que vous souhaitez que je vous informe de quelque secret. Hélas, Madame, j’en sais moins que vous sur toutes les choses du monde. Je suis sorti de mon cachot hier matin seulement.
— Mais vous sortez à l’instant de chez le Mazarin où je ne suis moi-même jamais entrée.
— Je ne vous souhaite pas que cela arrive un jour, Madame. Cet homme est un démon sans scrupules.
— Ça, nous le savons tous les deux, et depuis longtemps.


La duchesse attrapa soudainement Rochefort par la ceinture et se colla contre lui, offrant à sa vue son décolleté tentateur.

— Oh, Rochefort… Nous avons vécu tant de choses avant votre injuste emprisonnement, tant de moments délicieux ! Il ne tiendrait qu’à vous…
— De servir le coadjuteur ? Certainement pas.
— De me servir, Rochefort…
— Et bien, si j’en crois les quelques informations que j’ai pu glaner çà et là…
— Oui ?
— Vous m’avez bien vite remplacé après ma triste mésaventure.
— Qui vous a dit cela ?
— Le Louvre est plein de gens fielleux, et beaucoup vous détestent, Madame…
— Mais pas vous Rochefort.
— Certes, Madame ; il faudrait que je sois fait de bois.
— Alors servez-moi, Rochefort. Retrouvez-moi ce soir.
— C’est hélas impossible, Madame ; je dois rejoindre – ou plutôt retrouver – au plus vite celui qui m’a remplacé dans votre couche, et à qui je ne tiens nullement à succéder.
— De qui parlez-vous, Rochefort ?
— Ah oui, c’est vrai, Madame… Vous ne pouvez vous rappeler tous ceux qui vous ont… servis.
— Comte, je vous ordonne de parler ! grinça alors la duchesse, exaspérée.
— Eh bien, soit ; pour vous complaire, Madame… Je suis en quête du Chevalier d’Herblay.
— Aramis ?
— Oui, Aramis… qui finalement a préféré à votre con enflammé celui de la princesse de Vendôme, que l’on prétend sucré.
— Aramis… Je hais cet homme, Rochefort. Et vous le savez bien.
— Voilà pourquoi je vous informe, Madame.
— Et je hais tout autant la Vendôme ! Retrouvez-la, Rochefort, et faites-la enfermer.
— J’y compte bien, Madame, car telle est la volonté du cardinal.
— Peu importe ; il s’agit également de ma volonté, cette fois. Mais… puis-je vous demander une chose encore ?
— Demandez…
— Avez-vous des ordres concernant le chevalier d’Herblay ?
— Oui, Madame : je dois l’occire.
— Soit. Je voudrais simplement que vous me le rameniez avant. Je veux le voir à genoux devant moi. Je veux le voir implorer mon pardon, le voir ramper comme une limace. Et ensuite…
— Oui ?
— Vous le tuerez et enverrez sa tête à Caroline de Vendôme.




**************




Si le lecteur avait, grâce à une magie quelconque, la faculté de remonter le temps jusqu’aux jours dont nous parlons, et s’il lui venait l’envie dans le même temps de contempler l’effet de sombres pensées sur un visage empli d’amertume, il lui suffirait alors de suivre et d’observer d’Artagnan déambulant apparemment sans but dans les rues de Paris. À plus de quarante ans, ce dernier avait gardé la prestance du jeune homme qu’il était vingt ans auparavant. Il avait toujours la jambe ferme et cette démarche féline qui faisait se retourner les regards des femmes ; et en temps habituels, il leur rendait volontiers ce regard.


Les femmes… D’Artagnan n’avait jamais oublié Constance de Bonacieux, mais le temps était passé, et de la blessure béante qui l’avait fait souffrir pendant tant d’années il ne restait aujourd’hui qu’une plaie presque cicatrisée. Par besoin autant que par lassitude, il avait accepté de se mettre en ménage (mais non de se marier, le souvenir de Constance le lui interdisait) avec la belle Augustine, jeune servante dans une auberge de la rue du Cyprès, auberge dans laquelle il logeait sans payer d’autre loyer que sa protection contre les voleurs et les étudiants parisiens toujours prêts au chahut.


Lorsqu’il sortit de son entrevue avec Mazarin, d’Artagnan décida de rentrer chez lui afin de dormir un peu et de partir ensuite en mission. Lorsqu’elle le vit rentrer ainsi, l’air sombre, sans saluer l’aubergiste et monter directement à l’étage, Augustine pressentit la perspective de moments difficiles et se hâta de monter à son homme une assiette de riz au lard ainsi qu’un pichet de vin. Lorsqu’elle entra dans la chambre, elle le trouva allongé sur le lit, occupé à regarder le plafond.

— Je t’ai apporté ton repas. Tu n’es pas rentré cette nuit… Il s’est passé quelque chose d’important ?
— Il se passe toujours des choses importantes au Louvre, Augustine.
— Tu sais très bien de quoi je parle, lorsque je parle de « choses importantes ».
— Oui, Augustine. Et la réponse est toujours la même : « Non, Augustine. »
— Je n’arrive pas à te croire, Charles… Tu es entouré sans cesse de toutes ces princesses, ces duchesses, ces comtesses, ces marquises… Toutes des femmes sublimes, qui portent les plus belles robes et les parfums les plus chers. Et tu me dis que tu n’aimes que moi… avec mes vêtements de servante, et mes trente-cinq ans déjà qui font que je suis presque une vieille femme…
— Ah, mon Augustine, dit d’Artagnan en se redressant pour s’asseoir sur le bord du lit, viens donc près de moi.
— Oui…


Elle s’assit tout contre lui tandis qu’il lui passait un bras robuste autour des épaules, la serrant contre lui pour sécher les larmes qui avaient déjà coulé.

— Mon Augustine… Sais-tu qui sont ces femmes dont tu parles ?
— Oui : de très belles femmes.
— La plupart sont bien plus vieilles que toi, et seul leur maquillage cache leur laideur. Certaines courtisanes de la cour n’ont presque plus de dents, et d’autres les ont pourries. Lorsqu’elles rient, je t’assure que c’est une odeur pestilentielle qui sort de leur bouche ; mieux vaut être loin, ou tenir un de ces jolis mouchoirs que tu m’asperges d’eau de Cologne tous les matins.
— Tu dis ça pour me faire rire, mon Charles., mais je sais bien que tu exagères.
— Mais non, mon Augustine ; je te le promets.
— Oui, peut-être. Mais il y a les autres. Les plus jeunes… Celles qui ont la cuisse grasse et la poitrine ferme.
— Celles-là sont des ambitieuses venues à Paris afin d’obtenir la protection d’un prince ou d’un marquis. Crois-tu qu’elles regarderaient un petit lieutenant des mousquetaires gris ?
— Tu n’es pas un petit lieutenant. Tu es le grand d’Artagnan, celui à qui la reine doit d’être encore en vie aujourd’hui.
— La reine a oublié, ma belle Augustine. Les puissants sont ainsi, ingrats et amnésiques. Ils ne seraient pas les maîtres du royaume s’ils étaient autrement.
— Pourquoi n’as-tu pas fait comme ton ami Porthos ? Il est riche aujourd’hui ; il possède un château. Et pourtant, tu es cent fois plus intelligent que lui.
— Porthos a dû pour cela épouser une femme qui tient plus du dragon que de la jolie rose que tu es…
— Arrête, tu me flattes. Je vois très bien où tu veux en venir.
— Non, ma chérie. Je n’ai pas dormi cette nuit ; et j’ai de mauvaises nouvelles à t’annoncer. Voilà pourquoi je suis triste.
— Je le savais… Comment s’appelle-t-elle ?
— Caroline de Vendôme.
— Et tu ne nies même pas… Tu es un monstre, je te déteste !
— Suffit, femme ! dit-il fermement en attrapant le poignet de la main levée qui allait l’atteindre.


Augustine éclata en sanglots.

— Tu ne m’aimes plus, tu vas me quitter…
— Allons, Augustine, calme-toi. Je t’aime toujours, petite sotte. Je vais juste partir en voyage.
— Avec cette garce ?
— Non. Je dois retrouver cette femme qui a été enlevée hier à la cour, pendant le bal masqué.
— Mon Dieu… Quelle horreur !
— Oui, comme tu dis.
— Comme ce doit être terrible pour elle…
— Elle était consentante. Elle est partie avec son amant. Mais pour des raisons politiques, à la cour, cela s’appelle un enlèvement.
— Et que vas-tu faire ?
— La retrouver et la ramener chez elle.
— Mais… c’est monstrueux !
— Oui.
— Et qui l’a enlevée ?
— Aramis.
— Et tu vas affronter ton ami…
— J’ignore si Aramis est toujours mon ami.
— Il l’a toujours été.
— Cela fait vingt ans, Augustine. Aramis a sa princesse, Porthos a son château, Athos a sa fortune… Et moi, je n’ai en tout et pour tout que cette chambre et ton joli sourire.
— Et cela ne te suffit plus…
— Si, justement. Et je vais devoir tout quitter une fois de plus afin de régler les problèmes des grands de ce monde, et me retrouver plongé au milieu de tous ces égoïsmes. Je me sens las, mon Augustine… Je crois que je vieillis.




**************




Le père Pedro Acquaviva détestait qu’on le réveille au milieu de la nuit. Surtout lorsqu’elle était bien avancée, et surtout lorsque la jolie Ninon Mercier passait la nuit avec lui. Ils venaient juste de s’endormir tous les deux, enlacés l’un à l’autre, et voilà qu’un fâcheux venait faire un vacarme du diable aux portes du presbytère. Il sortit un pistolet chargé du tiroir de sa table de nuit, se signa rapidement et descendit voir ce qui se passait.

— Qui est là, cria-t-il à travers la porte.
— D’Herblay !
— Impossible : d’Herblay doit être loin à cette heure.
— Pedro, c’est moi, je te jure… Ouvre vite.
— Le mot de passe ?
— Ad Majorem Dei Gloriam.
— Tout le monde le connaît, celui-là… Non, notre mot de passe.
— Pedro, je t’en prie… Pas ça.
— Le mot de passe, ou tu n’entres pas. Allez, un effort…
— Les couilles du pape ne servent à rien.
— Pardieu, c’est bien toi !


Acquaviva ouvrit la porte en riant et serra fortement Aramis dans ses bras.

— D’Herblay, espèce de fou…
— Acquaviva, infâme blasphémateur !
— Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
— J’ai besoin de ton hospitalité, et de ta discrétion absolue pendant quelques jours.
— Accordé. Tout le temps que tu voudras, mais… tu n’échapperas pas à mon Bordeaux.
— Je n’ai pas envie d’y échapper. Je ne suis pas seul.
— Comment s’appelle-t-elle ?
— C’est un jeune novice polonais. Il se prénomme Karol, et son nom est imprononçable.
— Va pour Karol ; mais je n’ai qu’un lit à vous offrir.
— Alors, que Dieu nous préserve du péché de sodomie, dit doucement Aramis en joignant les mains.
— Bah, tu sais… Qui n’a pas essayé ne peut pas savoir ce que c’est.
— C’est un savoir dont je saurai me passer.
— Nous en parlerons demain, autour d’une bonne bouteille. Je vous montre la chambre.




**************




La chambre était austère, mais le lit spacieux et confortable. Caroline ôta son capuchon et regarda tout autour d’elle.

— Oui, je sais, cela te change de ton château, dit Aramis. Mais c’est la vie des fugitifs, et cela risque de durer quelque temps.
— Ne dis pas de bêtises, mon amour… Une vie d’aventures avec toi, c’est ce dont j’ai toujours rêvé.
— Puisse le rêve durer longtemps, alors. Et puissions-nous nous réveiller ensemble de ce rêve. Allez, novice, il est tard. Ou tôt… Nous avons besoin de sommeil tous les deux.
— Ce n’est pas de sommeil dont j’ai le plus envie, René.
— Tu es insatiable… Tu veux encore me voir sortir mon épée ?
— Non.
— Alors…
— Pour commencer, je veux que tu m’ôtes ces bottes qui me font mal aux pieds, dit-elle en s’asseyant sur le rebord du lit.


Aramis leva vers lui la jambe de Caroline et déposa un baiser délicat sur sa botte.

— Je suis votre serviteur, Princesse.
— Hi-hi… Idiot !


Lorsque la seconde botte fut retirée, avec le même cérémonial que la première, Caroline demanda :

— Et maintenant, puisque tu es « mon serviteur », je veux que tu masses mes pauvres pieds endoloris par ta faute.


Il prit alors son petit pied délicat entre ses mains de soldat et commença à lui en masser la plante avec ses pouces. Il sentit rapidement sa princesse se détendre sous l’effet de ses caresses. Mais elle se fit de plus en exigeante :

— Ça suffit comme ça, « serviteur » ; je veux un massage spécial ! Je veux sentir ta barbe sous mon pied, et je veux aussi que ta langue s’occupe de mes orteils.


Aramis frotta alors doucement sa courte barbe à l’endroit où ses pouces officiaient quelques minutes avant. Puis il fit entrer le tout petit pied de sa belle presque entièrement dans sa bouche, et commença à sucer doucement ses orteils.

Caroline se détendit alors complètement, en proie à une sensation étrange. L’envie de se caresser, et en même temps l’envie de s’abandonner. Elle était bien, détendue, la langue de son amant faisait merveille une fois de plus.

Elle ferma les yeux et s’endormit, vaincue par la fatigue de leur long voyage.

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Largo Winch

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 18:47

Formidable ! A part le fait que Constance n'était pas "de" Bonacieux, mais Bonacieux tout court... Tu sais je suis prêt à te servir de correcteur, Dumas ayant été l'oeuvre littéraire principale de mon adolescence...
Continue !
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GIBET
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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 18:50

Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy  He Largo Winch laisse nous le temps de lire !!
Mais ok pour la suite ...je rentrerai un peu tard ce soir . Mais je serais au rendez-vous ...pendant que vous dormirez!
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Dark Lord

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 19:03

je vous mettrez les derniers épisodes en rentrant ce soir. Razz
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Dark Lord

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 21:34

Les Machiavel en robe de chambre – tout comme les romanciers – pèchent toujours par excès de subtilité. Ils montent sans cesse des intrigues complexes, et se croient d’une intelligence supérieure parce qu’ils mettent un point d’honneur à brouiller les pistes. Pour organiser cette fuite, on aurait pu imaginer des choses totalement folles et rocambolesques : partir en carrosse vers le nord, bifurquer à l’ouest en ne gardant que les chevaux, se cacher dans des auberges perdues, tenter une fois de plus d’embarquer pour l’Angleterre (mais en passant par la Hollande cette fois) ; mais c’était là finalement prendre plus de risques que nécessaire.


On cherchait quatre fugitifs… D’Artagnan aurait vite compris que nos deux amoureux avaient reçu le secours de deux amis fidèles. Et ses soupçons se porteraient d’emblée sur Athos et sur Porthos. Saint-Germain n’était pas loin de Paris ; c’était donc là qu’il commencerait ses recherches. Il trouverait vide la propriété d’Athos qui, comme toutes les propriétés ayant servi de refuge, ne manquerait pas de laisser à son œil exercé et à son esprit de déduction des indices précieux qui le mèneraient à coup sûr sur la piste des fuyards.


À cette heure, en outre, on savait très bien que toutes les routes de France grouillaient d’espions et de soldats au service du Mazarin. L’entreprise était donc plus que risquée : elle était quasiment condamnée à l’échec.

Sauf à disparaître…


Le plan était donc d’une simplicité absolue. Athos resterait à Saint-Germain et accueillerait d’Artagnan. Le désordre des lieux n’aurait donc rien de suspect… D’Artagnan avait quitté Athos ivrogne ; il retrouverait cet ivrogne qui saurait lui parler du bon vieux temps et du regret d’avoir tant vieilli, d’être incapable aujourd’hui de la moindre folie.

Si d’Artagnan se décidait quand même à se rendre chez Porthos, il l’y trouverait également, trônant dans son château, terrorisant ses serviteurs, et bêlant comme un agneau devant sa femme. Il visiterait son immense domaine, et cela prendrait plusieurs jours…


Pendant ce temps, Caroline et Aramis seraient là où personne ne les chercherait : chez le père Acquaviva, ancien camarade d’études du chevalier, à deux pas du Louvre. Ils vivraient quelques semaines en reclus, auraient tout le temps nécessaire pour faire l’amour et, la politique reprenant ses droits, on finirait par desserrer les mailles du filet ; on finirait même par les oublier, tant il est évident pour tout observateur de la vie des « grands » qu’une intrigue sans cesse chasse l’autre, et que ce qui est scandaleux aujourd’hui le sera moins demain, et oublié après-demain… Le temps est l’allié indéfectible de tous les stratèges.


La seule inconnue que nos héros avaient négligée, c’était Rochefort. Le comte suivant d’Artagnan n’était certes pas pour l’instant un véritable danger, mais il avait parlé de son entreprise à Madame de Longueville et avait ravivé en elle, volontairement, le souvenir d’une cuisante humiliation. Or, comme le lecteur le sait (contrairement à ce sot de Rochefort), rien n’est plus terrible qu’une femme humiliée qui cherche à se venger. La haine est un sentiment surprenant qui a ceci de particulier d’aveugler la raison des hommes et d’éclairer l’intelligence des femmes. Et l’on pourrait écrire, sans risque d’exagérer, qu’en cet instant la duchesse de Longueville irradiait par son esprit.


À l’heure où nous la retrouvons, elle se trouvait face au cardinal de Retz, ennemi juré du Mazarin, et meneur de la Fronde. Allié au duc de Beaufort pour les besoins de la cause, mais bien décidé à ne pas lui permettre d’accéder au pouvoir. Retz était doté un esprit subtil ; il était raffiné, et sa plume était acérée. Ses sermons – qu’il travaillait durant des nuits entières – étaient de pures joailleries où chaque mot était pesé parfaitement et destiné à devenir un projectile contre le pouvoir en place. Il était adulé par le petit peuple de Paris, qu’il méprisait et dont il comptait bien se servir pour parvenir à ses fins. Et les nouvelles que venait de lui apporter sa belle et blonde alliée l’avaient plongé dans une méditation profonde dont il finit par sortir soudainement.

— Madame, il n’est pas question que cet imbécile de Beaufort s’empare de Caroline de Vendôme.
— Comment ça ? Vous plaisantez, j’espère ?
— Je ne plaisante jamais en matière de politique, Madame. Cette femme serait entre ses mains un atout qui pourrait le rendre beaucoup trop puissant dans les négociations en cours. Par contre, sa fuite avec le chevalier d’Herblay nous garantit l’allégeance à court terme du prince de Vendôme et de ses seigneurs, que je saurai mener à ma guise.
— Certes mon ami… Mais ensuite ? Le prince exigera de vous demain ce qu’il exige aujourd’hui du Mazarin. Il faudra bien lui rendre sa femme, ne pas prendre le risque de vous en faire un ennemi.
— C’est pourquoi elle doit disparaître.
— Où cela ? En Angleterre ? Allons, on vous demandera d’exiger son retour…
— Il y a de nombreuses façons de disparaître, Madame. Certaines sont parfois définitives…
— La faire tuer ?
— J’ai dit : disparaître, Madame.
— Comment comptez-vous faire, mon ami ?
— Je ne compte absolument rien faire, Madame : ma condition d’homme d’Église me l’interdit. Je dis que pour le bien de notre entreprise, ni le Mazarin ni Monsieur de Beaufort ne doivent rattraper la princesse de Vendôme. Et, dans la mesure où vous êtes impliquée vous-même dans cette entreprise, je pense qu’il est sage que je m’en remette à vous pour régler cette petite affaire.
— Vous me donnez donc carte blanche…
— J’aimerais, si possible, que le sang de Madame de Vendôme ne coule pas.
— Et d’Herblay ?
— Peu importe, Madame ; son sort ne m’intéresse pas le moins du monde.
— Je me charge de tout, mon ami. Je m’en voudrais de contrarier vos méditations… Faites-moi confiance ; ce problème n’en sera bientôt plus un.
— Je n’en doute pas, ma chère amie. Dieu vous bénisse…


La duchesse de Longueville sortit du palais de Retz plus radieuse que jamais. Elle tenait enfin sa vengeance…




**************




Tandis que la cour du Louvre résonnait des préparatifs de la compagnie des mousquetaires gris de d’Artagnan qui devait partir le lendemain, tandis que Rochefort, invisible dans son justaucorps noir et recouvert du manteau de la nuit épiait ces préparatifs du haut des remparts, d’Artagnan – qui connaissait son Mazarin par cœur et savait pertinemment qu’il était sous surveillance – sortit seul par la porte ouest et se rendit à cheval chez son vieil ami Athos.

Il arriva au petit matin, décidé à surprendre tout le monde au réveil. Moins décidé à remplir sa mission. Et excluant complètement de se battre contre ses anciens compagnons.


Ce n’était – comme le lecteur s’en doute – certainement pas la peur qui le freinait ainsi. Étant le seul des quatre à être resté dans le métier des armes, il se savait suffisamment fort pour vaincre n’importe lequel d’entre eux. Athos avait dix ans de plus, et l’alcool devait l’avoir passablement abîmé. Porthos, toujours porté sur la bonne chère et la ripaille, devait avoir grossi encore, et sa force titanesque ne l’empêchait pas d’être le plus lent de tous. Quant à Aramis, il était peu probable qu’il ait pu s’exercer beaucoup au maniement des armes dans son couvent de Jésuites.


Mais d’Artagnan était sentimental. Il avait de la mémoire, et croyait encore en l’amitié. « Un pour tous, tous pour un ! » restait sa devise, même s’il avait souffert de l’abandon de ses compagnons au fil des années. Aramis avait coupé les ponts avec tous lorsqu’il avait pris sa retraite. De Porthos, il n’avait reçu qu’un faire-part de mariage empli de son immense fatuité, et dont la simple évocation le faisait encore rire aux larmes. Seul Athos avait continué à donner des nouvelles régulièrement. Mais « Loin des yeux, loin du cœur… », comme dit le proverbe, et les dernières lettres qu’il avait reçues manquaient de cette flamme nécessaire à l’entretien d’une amitié indéfectible.


Ainsi, notre héros se désolait de devoir retrouver ses amis dans de telles circonstances, de l’autre côté d’une barricade qui n’avait aucune chance de résister au pouvoir du Mazarin. Et une petite voix à l’intérieur de sa tête (celle de sa conscience ?) le mettait à la torture.

— C’est toi qui as changé, disait-elle ; tes compagnons, eux, sont restés les mêmes.
— Tais-toi. Je suis resté au service du roi ; je suis resté mousquetaire. Ce sont eux qui ont déserté.
— Allons, ne sois pas de mauvaise foi. Tu n’étais pas au service du roi, naguère, mais au service de Constance ; et c’est pour ses beaux yeux que tu as aidé la reine à sauver la face contre le roi lui-même.
— Je servais le roi sans qu’il le sache… Il était tout entier sous l’emprise de Richelieu.
— Mais Richelieu était grand, et tu l’as toi-même reconnu, ensuite ; il t’a même récompensé pour tes exploits, finalement.
— Richelieu savait reconnaître la valeur d’un homme.
— Oui… d’un homme dont il avait été l’ennemi, qui lui avait tenu tête. Et voilà qu’aujourd’hui tu n’es même plus capable de tenir tête à ce fourbe de Mazarin. Voilà que tu t’empresses pour lui d’aller briser une belle histoire d’amour.
— Nous devons abattre l’Espagne, pour le bien du roi et du royaume : voilà le véritable objet de ma mission.
— Allons, d’Artagnan… Les puissants ont toujours un pays à abattre. Richelieu voulait abattre l’Angleterre, et tu as tout empêché. La raison d’État est un prétexte de puissants pour écraser les braves de toutes les époques. Ne me dis pas que tu crois à ces billevesées…
— Suffit ! Tais-toi ! Nous arrivons bientôt… Je veux parler à mes amis les yeux dans les yeux. Après seulement, je déciderai.
— Sage décision, d’Artagnan. Et je me réjouis car je viens de comprendre qu’au fond de ton âme, tu as déjà pris ta décision.




**************





Le 15 mai de l’an de grâce 1648,


Au prince Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz




Votre Éminence,


Lorsqu’il y a deux ans, vous avez eu la bonté de m’accorder vos faveurs et de m’obtenir la charge qui me sortit de la misère, je vous avais promis de tout faire afin de vous rendre les bontés que vous m’avez accordées. Vous aviez souri et m’aviez répondu que votre geste était un geste d’amitié envers mon défunt père, qui fut pendant des années un de vos amis fidèles. Ainsi me faisiez-vous comprendre, avec une infinie délicatesse, que je devais mon bonheur aux deux hommes que je révère le plus depuis l’enfance.


Je dois bien vous avouer que durant ces deux ans pendant lesquels je ne vous ai donné aucune nouvelle de ma personne, j’ai cherché comment vous complaire et comment vous rendre service. Hélas, je ne trouvais point, et j’étais au désespoir.


Mais le destin, par d’infinis détours, me permet aujourd’hui de vous rendre un peu des bontés que je vous dois. J’ai appris en effet que tout le royaume cherchait actuellement deux fugitifs. Deux amants de tragédie, dont le geste fou n’a d’égal que le péril dans lequel ils mettent actuellement le royaume. J’ai appris également que le Mazarin donnerait cher afin de les retrouver. Enfin, lorsque je dis « cher », votre Éminence, je veux parler des accolades et des promesses dont cet avaricieux est si prodigue. Je sais en outre que le duc de Beaufort a envoyé un de ses hommes de main afin de surprendre ces fuyards avant tout le monde. Et j’imagine aisément le prix que vous seriez prêt à payer afin que le chevalier d’Herblay et la princesse de Vendôme vous soient livrés, à vous plutôt qu’à ces gribouilles de la politique.


Eh bien, Votre Éminence, je puis enfin me montrer digne de la confiance que vous m’aviez accordée. Je sais où se trouvent ces deux personnes, et comment il vous sera facile d’aller les surprendre sans faire courir à vos gens des risques trop grands. La chose est amusante… Tandis que tout le monde les cherche un peu partout dans le royaume, ils se trouvent à deux pas d’ici, à quelques rues du Louvre, dans le presbytère de la rue des Orfèvres.


Je vous prie bien entendu de ne rien envisager pour me remercier de cette information. Elle n’est qu’une infime partie du remboursement de la dette que j’ai à votre égard, et à l’égard de mon cher père. Je reste, Votre Éminence, votre débiteur, et éternellement à votre service.



Père Pedro Acquaviva

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 21:36

LA DIVINE PROVIDENCE


Dans la chambre qui abritait ses amours avec la belle Caroline, Aramis venait de revêtir une tenue dans laquelle on ne pouvait s’attendre à contempler un homme d’Église, et moins encore un mousquetaire. Enfin, « tenue » était un mot inapproprié dans la mesure où il était pour l’occasion quasiment nu, avec juste un tablier blanc qui cachait le devant de son anatomie, juste en dessous de la ceinture. Et ce n’était pas une épée qu’il tenait dans sa main droite, mais… un plumeau.

Caroline, elle, avait juste enfilé sur le haut de son corps superbe la chemise blanche qui cachait si peu sa superbe poitrine et lui descendait jusqu’à mi-cuisses. Elle regardait son « serviteur » d’un œil particulièrement amusé, et en particulier ses fesses musclées qu’elle aimait tant caresser.

— Tu n’es vraiment pas douée pour la poussière, soubrette… Je ne sais pas si je vais te garder à mon service.
— Que Madame me pardonne, mais elle ne cesse de se redéposer sur les meubles au fur et à mesure que je l’essuie. Ce serait plus facile avec un simple chiffon.
— J’ai dit : le plumeau !
— Bien, Madame. Mais je crains alors de ne pas pouvoir faire grand-chose de plus contre cette maudite poussière.
— Hum… Tu as vraiment un beau petit cul, soubrette. Je me demande si on ne pourrait pas utiliser le plumeau d’une autre façon…
— Caroline !
— Pardon ?
— Madame…
— Approche un peu.


Caroline passa sa main fine et douce sous le tablier et commença à caresser l’entrejambe de son « serviteur ».

— Hum… Mais dis-moi, j’ignorais que les gens de ta condition avaient les bourses aussi remplies.
— Ah, un caprice de la nature, Madame, ou de la fortune… Je vous assure pourtant qu’hier soir je vous ai offert tout ce qu’elles contenaient.
— Je ne te crois pas, et je suis très mécontente. Tu vas me donner tout ça, et ensuite je te punirai pour ton insolence.
— Que Madame me pardonne, mais je souhaiterais être puni d’abord. Lorsque leurs bourses sont vides, il est difficile aux pauvres gens de ne pas se révolter contre les injustices.
— Hum… Alors je veux voir le plumeau entre tes deux fesses. Immédiatement.


Aramis s’exécuta.




Une parenthèse ici s’impose qui éclairera le lecteur d’aujourd’hui. On a coutume en effet de prétendre, à tort, que le siècle dans lequel nous vivons est un siècle de liberté qui a vu les mœurs évoluer profondément. Il s’agit là hélas d’une vue de l’esprit totalement faussée par cette espèce de prétention des élites actuelles à alléguer qu’elles valent mieux que celles auxquelles elles ont succédé. Le libertinage était de mise à l’époque de Louis XIV, bien plus qu’aujourd’hui ; et les émotions, les élans du cœur étaient moins jugés qu’ils ne le sont de nos jours. Chacun savait que Monsieur, frère du roi, était entouré de ses mignons ; et si l’on en plaisantait parfois, nul n’aurait songé à remettre en cause l’honneur de sa personne. De Madame de La Vallière à Madame de Maintenon, en passant par la sulfureuse marquise de Montespan, tout le monde a connu le nom des innombrables favorites du Roi Soleil, et la chose ne provoquait pas les quolibets du peuple ni la fureur de la reine. Qu’on daigne ouvrir les yeux un instant, et l’on s’apercevra que c’est notre XXIème siècle soi-disant libre qui condamne les écarts des princes. Et pourquoi donc, ma foi ? Le scooter est-il pour ce genre d’exploit une monture moins digne que le cheval ? Fermons la parenthèse, et retrouvons nos deux amants, la première totalement nue sous sa chemise, et le second les fesses ornées d’une oriflamme originale.


— Remonte donc ton tablier, soubrette, et viens m’offrir ta fortune.


À ce moment, la porte de leur sanctuaire vola en éclats et six spadassins masqués y firent irruption. Aramis comprit la situation en une fraction de seconde et s’empara de son épée posée sur le petit secrétaire mis à la disposition des invités. Il para facilement la première attaque et transperça la poitrine de son assaillant.

— Derrière moi, Caroline, près de la fenêtre !


Surpris par une réaction à laquelle ils ne s’attendaient pas, les intrus marquèrent un temps d’arrêt et se regardèrent, essayant d’envisager la suite des événements. Cela fut fatal à deux autres d’entre eux. Caroline en effet avait sorti le pistolet d’Aramis et tiré, atteignant sa cible en pleine tête. Profitant de la stupeur du vacarme provoqué par le coup de feu, l’ex-soubrette redevenue mousquetaire perça le flanc d’un autre de leurs agresseurs. Ils n’étaient plus que trois désormais, mais ils entendirent dans l’escalier le bruit des bottes des renforts qui arrivaient.

— Saute, Caroline ! Par la fenêtre, et cours droit devant toi.
— Et toi ?
— Je te rejoins dès que tu es en bas.


Sentant leur proie leur échapper, et encouragés par l’arrivée des renforts, les trois autres se ruèrent alors en même temps sur Aramis qui esquiva le premier, para et blessa le second au bras, mais reçut la lame du troisième à l’épaule. Il dut alors changer de main afin de continuer de se battre.


Caroline avait atterri sans dommage sur le sol. Elle se releva d’un bond et commença à courir droit devant elle. Hélas, elle vit alors arriver dans sa direction une dizaine d’hommes masqués. Elle stoppa net et fit demi-tour. Moins chargée (et pour cause) que ses poursuivants, elle réussit à prendre sur eux quelques mètres d’avance et reprit confiance. Elle courait, transportée de peur et d’angoisse pour son beau chevalier qui ne l’avait toujours pas rejointe cependant. Elle avait presque atteint le coin de la longue rue des Orfèvres lorsqu’un carrosse lui en interdit l’accès et que deux hommes masqués également en sortirent. Perdue, affolée, elle chercha tout autour d’elle un secours qu’elle ne trouva pas et se retrouva empoignée par ses poursuivants qui commencèrent à lui lier les mains dans le dos.

Madame de Longueville descendit alors du carrosse, les yeux rayonnant d’une joie absolue et cruelle.

— Eh bien, Vendôme, nous nous retrouvons enfin !
— Oh, je vous en supplie, Madame, aidez-moi.
— Vous aider ? Cela m’étonnerait… Mais pour me supplier, là, vous pouvez compter sur moi.
— Ne faites pas cela ; je suis princesse de sang : vous commettriez un crime irréparable.
— Là où je vous emmène, princesse, vous ne serez bientôt plus rien.
— Oh non, je vous en prie… Pas ça ! Laissez-moi partir…
— Suffit ; faites-la taire ! Ses cris m’importunent.


Les hommes de main de la duchesse de Longueville eurent tôt fait de bâillonner la pauvre enfant avant de la faire monter dans le carrosse qui démarra à grands fracas, sans souci de renverser quelques passants qui avaient eu l’imprudence de ne pas s’écarter assez vite.




**************




Pendant ce temps, Aramis – qui avait réussi à envoyer ad patres quatre nouveaux assaillants – s’apprêtait à succomber sous le nombre. Contrairement à ce qu’avait imaginé d’Artagnan, les Jésuites de son couvent possédaient de nombreux maîtres d’armes, et il n’avait rien perdu de sa dextérité passée. Hélas, s’il était encore presque invincible à un contre trois, éminemment dangereux à un contre dix, les choses se compliquaient sérieusement au-delà, surtout avec une épaule blessée.

Il se rappela sa condition d’homme d’Église et se souvint qu’il était nécessaire de prier avant de rejoindre l’au-delà. Il commença donc une courte prière tout en continuant à se battre, en souriant un peu et en se demandant quelle tête ferait Saint Pierre en le voyant débarquer aux portes du Paradis avec son tablier de soubrette.


Mais la Divine Providence est consubstantielle aux Jésuites… et aux romans d’aventures. Et dans ce cas précis, elle se manifesta sous la forme d’un cri de ralliement qui encouragea notre héros à jeter ses dernière forces dans la bataille.

— Un pour tous ! crièrent trois fortes voix en montant l’escalier à leur tour.
— Tous pour un ! répondit Aramis en navrant un nouvel ennemi.


Porthos entra le premier dans la chambre. Il n’était plus un homme, mais l’incarnation de Mars, le dieu des guerriers. Il était la foudre, le tonnerre, l’Armageddon suprême des lâches qui avaient osé s’en prendre à son ami. Il frappait de sa lame, de ses poings, de sa tête… Il était la tempête, il était l’ouragan, il était la Vengeance. Lorsqu’ils entrèrent, Athos et d’Artagnan n’eurent affaire qu’à des fuyards qu’ils châtièrent sans aucune pitié.


D’Artagnan se précipita dans les bras d’Aramis dont la vue commençait à se brouiller.

— Mon ami…
— Ami… Alors comme ça, tu m’as rejoint toi aussi ? Nous sommes à nouveau tous les quatre.
— Comme avant, Aramis.
— Comme avant.


Et il perdit connaissance.




On aura donc compris, en lisant ce qui précède, que d’Artagnan avait finalement laissé Athos le convaincre de renouer avec ses anciens compagnons pour de nouvelles aventures. Une fois le pacte scellé autour d’une bonne bouteille de Sancerre, on avait envoyé un messager afin de prévenir Porthos, et décidé de retrouver Caroline et Aramis dans leur refuge afin de pouvoir rentrer à Saint-Germain qui devenait alors le lieu le plus adéquat en attendant la suite des événements.


Nos trois héros s’étaient donc retrouvés à Paris, et avaient découvert la trahison peu de temps après l’irruption des hommes de Longueville. Peu de temps, certes, mais trop tard, hélas, pour Caroline. Il est des circonstances où « un peu » se transforme en « beaucoup trop ». L’enlèvement avait eu lieu si rapidement que personne ne savait en réalité qui en était l’instigateur. Et les spadassins étant tous morts, aucun ne risquait de donner une information utile à ce sujet. Comme chacun le sait, seuls les esprits retors et les professionnels de la basse politique ont le pouvoir de faire parler les morts.


Mais la Divine Providence était à l’œuvre, et par conséquent continuait de veiller sur les mousquetaires. Elle revêtait cette fois un costume noir, des cheveux gris et une barbe blanche. Elle se cachait sous les traits de l’ennemi le moins dangereux, et sans doute le plus accessible à la raison de nos quatre compagnons.


Rochefort, en effet, après avoir passé la nuit à grelotter pour rien sur les remparts du Louvre, avait d’abord été en proie à la colère. Puis, après avoir dormi quelques heures, il avait reconnu que d’Artagnan était un diable d’homme, et son estime pour lui en tant qu’adversaire en avait été renforcée.

Après réflexion, il s’était dit que la haine de la belle duchesse l’avait probablement amené chez le cardinal de Retz, et il décida de rendre une visite de courtoisie à ce dernier. Arrivé à ses portes, il en avait vu sortir Madame de Longueville arborant un air de triomphe sur lequel il lui était interdit de douter. Il avait donc décidé de la suivre.


Madame de Longueville n’était pas d’Artagnan. Elle n’avait pas besoin, en outre, d’utiliser nombre de subterfuges : sa condition la protégeait d’une manière bien suffisante. Il avait donc été facile pour le comte de ne pas la perdre des yeux et d’assister à l’enlèvement de l’infortunée princesse de Vendôme. Hélas, il était seul ; et heureusement, il n’était pas fou. Il n’intervint donc pas.


Il savait désormais qui détenait la princesse, mais il ne pouvait pas s’emparer d’elle.

Les mousquetaires pouvaient la secourir, mais ils ignoraient ce qu’elle était devenue.

Une alliance de circonstance s’imposait donc.


— Bonjour, Messieurs, dit Rochefort en entrant dans la chambre quelques secondes après qu’Aramis eût perdu connaissance.
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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 21:37

ANNE D'AUTRICHE PAIE SA DETTE




Tandis que Porthos et d’Artagnan amenaient leur compagnon blessé « où l’on savait », Athos – qui avait depuis toujours été des quatre mousquetaires le plus clairvoyant et le plus raisonnable pour dénouer les innombrables fils des intrigues politiques – chevauchait au hasard des rues de Paris avec le comte de Rochefort afin de sonder ses véritables intentions. Les deux hommes avaient le même âge, avaient passionnément aimé la même femme, et en avaient subi tous deux les mêmes déconvenues. Ils avaient toujours combattu l’un contre l’autre, mais toujours sans mésestimer la valeur de l’adversaire. Ils avaient tous les deux un certain sens de l’honneur, et ne divergeaient en réalité que sur cette maxime de Machiavel, que Rochefort avait faite sienne, mais que la grandeur d’Athos réprouvait : « La fin justifie les moyens. »

— Vous m’avouerez, Rochefort, que votre ralliement a tout de même de quoi surprendre.
— Comte de la Fère…
— Athos ! Le comte de la Fère est mort il y a plus de vingt ans.
— Vous êtes et resterez le comte Olivier de la Fère toute votre vie, et qu’importe le masque derrière lequel vous vous cacherez. Vos valeurs, vos exploits, votre passé, je les connais, et vous savez que je les admire. Et ce n’est pas un hasard si nous négocions en ce moment tous les deux l’avenir de vos compagnons. Je sais qui vous êtes, et vous savez qui je suis. Je n’ai pas votre grandeur d’âme : je suis un pragmatique ; et le pragmatisme, en l’occurrence, m’impose de jouer franc-jeu avec vous.
— Alors soyez franc… tant que votre pragmatisme vous le permettra. Mais appelez-moi Athos, je vous en prie.
— Soit, si vraiment vous y tenez. Je suis comme vous : je méprise le Mazarin qui m’a fait enfermer cinq ans à Vincennes et qui prétend aujourd’hui m’élargir en échange de la princesse de Vendôme. Mais le Mazarin n’aura rien de moi, quitte à croupir dix ans de plus dans une nouvelle geôle.
— Mais Beaufort peut tout vous demander ; et si ce dernier souhaite échanger la princesse contre quelques faveurs, cela ne sera plus de votre ressort.
— Effectivement. Mais à ce jour, j’agis de mon propre chef, et le duc ne m’a rien demandé. En me ralliant à vous, je ne le trahis donc pas.
— Vous trahissez votre intérêt, Rochefort, ainsi que votre sens politique.
— Mon intérêt, c’est avant tout de rester vivant : j’ai des vengeances à accomplir. Si j’enlève Caroline de Vendôme, j’aurai à faire face à Aramis ; si je tue Aramis, je devrai me battre contre vous, contre Porthos, et contre d’Artagnan. Je doute de pouvoir vous survivre à tous les quatre. Donc, mes plans ont changé : la seule chose que je souhaite, c’est que le Mazarin n’arrive pas à ses fins.
— Soit… Mais alors, pourquoi vous en prendre à madame de Longueville et au prince de Gondi ? Vous êtes assuré qu’entre leurs mains, le Mazarin n’aura aucune chance de rattraper sa proie.
— Mais ils renforceront alors leur pouvoir, et Retz est un serpent. Plus il devient fort, plus mon maître est en danger.
— J’aimerais tant vous croire, Rochefort… Mais vous êtes un politique, vous regardez ces affaires avec un esprit froid. Et je crains qu’il ne vienne un moment où vos calculs vous permettent de changer d’avis à nouveau.
— Je suis un homme, Athos. Et comme tous les hommes, mon esprit est soumis à la passion autant qu’à la raison.
— Et quelle est cette passion qui vous domine actuellement ?
— La haine, Monsieur… Connaissez-vous les raisons de ma détention à Vincennes ?
— Vous aviez juré d’occire le Mazarin.
— Sur ordre de qui ?
— Beaufort.
— Non, Monsieur… À cette heure, j’étais sottement sous le joug amoureux de la duchesse de Longueville. Elle hait le Mazarin bien plus que moi, et elle a obtenu de moi le serment que je le tuerai. Mais vous savez ce qu’il en est de la politique… Mazarin promit à Gondi la robe de cardinal ; il devait donc encore vivre un peu. Et moi, j’étais lancé contre lui tel un chien enragé contre sa proie. On m’a donc dénoncé.
— Qui ça ?
— Longueville elle-même, en échange de son pardon.
— Mon pauvre ami…
— Je hais cette femme, Athos, bien plus encore que le Mazarin. Alors, je suis des vôtres. Demandez-moi ce qu’il vous plaira.
— Votre parole de gentilhomme.
— Je vous la donne. Je vous jure de ne pas tirer l’épée contre vous ni contre vos compagnons, et de ne pas nuire en quoi que ce soit à Caroline de Vendôme.




**************




Il serait tentant, pour les besoins de la littérature, de décrire Mazarin comme un sot, un fourbe, un avaricieux, un bellâtre imbu de sa personne, ivre de puissance et de fortune. Il serait tentant de faire ici même œuvre que les chroniqueurs de l’époque, de tracer un de ces portraits rédigés à l’acide ou de tremper sa plume dans un encrier empli de fiel et de rancœur. À cette époque en effet, cent libellés s’envolaient chaque matin des galeries du Pont Neuf pour fustiger l’Italien et sa politique. On appelait cela « Les Mazarinades ». Peu d’entre elles, reconnaissons-le, méritent de passer à la postérité ; mais certaines étaient d’une qualité qu’il faudra bien admettre :



Ce méchant plein d’outrage

A ruiné sans défaut

Vous tous, gens de village

Vous donnant de l’impôt

Faut sonner le tocsin

Ding ding

Contre le Mazarin


Voilà ce que l’on chantait dans les rues de Paris, du matin au soir et du soir au matin.

Et Mazarin laissait chanter… « Qu’ils chantent, disait-il ; ils paieront… »


En réalité, Mazarin n’était ni sot, ni cruel. Mais il était amoureux – et cela depuis toujours – de sa reine, et cet amour était partagé. Il avait même quelques années auparavant été béni par feu le roi Louis XIII qui, préférant les hommes, avait toujours été incapable d’accorder à sa femme les honneurs qu’elle méritait. La naissance du petit roi reste pour les historiens une énigme bien singulière, à moins de croire aux miracles comme le bon peuple de Paris le crut en ces temps où l’Église trouvait, par le truchement de la Grâce Divine, des solutions aux situations les plus insolubles.


Mais il suffit de regarder l’Histoire avec un œil froid, de se pencher sur les dates, de comprendre pourquoi Mazarin fut rappelé à la cour pour devenir le parrain du futur Louis XIV, de comprendre l’insistance du roi sur son lit de mort à exiger que la reine fasse de l’Italien son Premier ministre, et de constater que ce dernier sacrifiera tout – jusqu’à sa propre dignité – pour que son « filleul » monte sur le trône débarrassé de tous ses opposants. On constatera alors que Mazarin a agi comme un père. Et on en conclura ce que l’on voudra…


Nous en conclurons ici que Mazarin n’avait pour seule préoccupation que la gloire de son « filleul » et l’amour d’Anne d’Autriche, avec laquelle il était marié en secret depuis la mort de Louis XIII. Que seule la raison d’État guidait ses décisions, et que son caractère était – contrairement à celui du grand Richelieu – beaucoup plus souple et pacifique.


Il était à cette heure en compagnie de sa bien-aimée. Anne d’Autriche, comme toutes les femmes que l’amour a fini par combler, savait lire dans les yeux de son mari. Et elle le voyait en proie à une profonde agitation qu’il essayait de lui cacher.

— Eh bien, Giulio, si vous me parliez un peu de ce qui vous préoccupe ?
— Comme toujours, Madame : les affaires de l’État.
— On vous veut du mal, encore une fois ?
— Cela n’importe pas. C’est là une condition à laquelle un Premier ministre doit savoir s’accoutumer.
— Mais c’est une condition à laquelle une femme ne le peut, surtout lorsqu’il s’agit de celui qu’elle aime.
— Ne vous inquiétez pas pour moi, Madame… Votre présence suffit à mon apaisement.
— Giulio, je suis votre reine. Et je vous somme de vous confier.
— Soit, Madame… Il s’agit de la princesse de Vendôme, qui a été enlevée.
— Nous le savons déjà.
— Elle a été enlevée à ses ravisseurs.
— La pauvre femme…
— Je dois avouer.
— Mais enfin, que font votre police et vos espions ?
— Il s’agit là d’une partie bien trop compliquée pour eux, je le crains.
— Diable… Des bandits se rendent coupables d’un enlèvement et se font posséder par d’autres bandits… La chose est pourtant simple et ne devrait pas vous poser tant de problèmes.
— Il s’avère, Madame, que les ravisseurs ne sont pas de simples bandits de grand chemin soucieux d’obtenir une rançon.
— Que demandent-ils ?
— Rien.
— Je ne comprends plus…
— Vous comprendriez, si vous saviez leurs noms.
— Je vous écoute, Giulio.
— Vous rappelez-vous d’un certain chevalier d’Herblay, plus connu sous le nom d’Aramis ?
— Mon Dieu ! Ne me dites pas…
— Si, Madame. Et deux de ses amis.
— Athos et Porthos ?
— Oui, Madame. Et j’ai commis l’erreur de demander à d’Artagnan de les arrêter.


Anne d’Autriche éclata d’un rire sincère. Puis ses yeux se perdirent un instant, et son esprit se remémora des souvenirs enfouis depuis bien des années…

— Athos, Porthos, Aramis, et d’Artagnan. Mon Dieu ! Giulio, si vous connaissiez la valeur de ces hommes…
— Ils sont aujourd’hui nos ennemis, Madame.
— Non, mon ami ; ils ne seront jamais les ennemis du roi, ni les miens. Et il ne tient qu’à vous de vous assurer de leur loyauté.
— Que dites-vous ?


Une lumière venait de s’allumer dans l’esprit de Mazarin. Avoir avec lui ces quatre hommes, avec leur science de la guerre et de la négociation, c’était à n’en pas douter un atout considérable pour l’avenir. Mais dans le cas présent, ils étaient un handicap terrible.

— Je dis, mon ami, que je suis une ingrate, et que par ma faute vous payez cette ingratitude. Ces hommes ont sauvé ma vie au péril de la leur, et si nous pouvons nous aimer comme nous nous aimons aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à leur abnégation. Et qu’ai-je fait, mon Dieu, pour les récompenser ? Rien. Peut-être le temps est-il venu que je paie ma dette ?
— Vous oubliez les seigneurs du Loiret dont l’appui nous est indispensable.
— Mon Dieu, Giulio, ouvrez donc les yeux ! Les seigneurs du Loiret vous seront fidèles uniquement contre des services que vous devrez leur rendre, des honneurs qu’il faudra leur donner, une fortune qu’il vous faudra dépenser. Et tout cela pourquoi ? Pour contenir les folies d’un Gondi ou d’un Beaufort… Croyez-moi, avec ces quatre hommes à votre service, vous n’aurez plus besoin de quiconque pour défendre vos intérêts ici, à Paris.
— Hum, voilà qui mérite réflexion…
— C’est tout réfléchi ! Personne ne doit toucher à un seul de leurs cheveux. Laissez-les donc en paix.
— C’est que, Madame, la princesse leur a été enlevée…
— Alors aidez-les à la retrouver. Et rendez-leur les honneurs qu’ils méritent. Ils ne sont pas ingrats, eux ; ils sauront vous servir en échange.
— S’agit-il là d’un ordre de ma reine, dit Mazarin en souriant.
— Beaucoup plus que cela, Giulio : c’est un désir de ta femme.




**************




Innombrables sont les hommes qui rêvaient de visiter les appartements de madame la duchesse de Longueville. Nombreuses également étaient les femmes qui partageaient ce rêve. Et nous les comprenons aisément. Tout n’était que dorures, meubles en bois précieux, tableaux de prix, chandeliers supportant des bougies aux odeurs envoûtantes et enivrantes. Quant à la chambre de la duchesse – qui avait reçu les visites de tant d’amants, de quelques amantes, et dont les murs drapés de rouge avaient été les témoins de tant d’ébats – elle était tout simplement un temple dédié à l’Amour sous toutes ses formes (et nous avons vu précédemment que le siècle en comptait bien plus qu’aujourd’hui), orné d’un tableau représentant la belle frondeuse sous les traits d’Aphrodite avec qui les artistes de l’époque ne cessaient de la comparer.


Mais ces rêves de visites étaient bien imprudents, tant les amants de la duchesse étaient nombreux à disparaître ensuite dans des circonstances souvent tragiques. Rochefort, de ce point de vue, avait grand tort de se plaindre de ses cinq années de captivité à Vincennes, car force était de reconnaître que, contrairement à bien d’autres, il avait survécu.


L’immense bibliothèque, qui occupait un mur entier du boudoir, accueillait tous les auteurs qu’il était possible d’imaginer. Livres de poésie, récits de voyages, ouvrages philosophiques, et même quelques livres de magie qui auraient fait se dresser les cheveux sur le crâne tonsuré des moines franciscains et donné des nuits entières de cauchemars à un inquisiteur espagnol. Mais en France, on n’inquiétait pas un personnage de ce rang pour si peu. Un arbre généalogique bien fourni suffisait à garantir une sorte d’éternelle immunité, et celui de madame de Longueville, bien qu’un peu arrangé, la faisait descendre indirectement du roi Louis XI. Elle était presque intouchable, et pouvait donc s’adonner à sa guise à tous les plaisirs qui lui passaient par la tête.


Pour la surprendre en train de s’adonner à un de ses plaisirs, justement, il suffisait de déplacer un manuscrit particulier renfermant les poèmes de François Villon. Un mécanisme se déclenchait alors, ouvrant sur le côté de la somptueuse bibliothèque une petite porte donnant sur un escalier de pierre et conduisant dans les sous-sols de sa demeure. Arrivés en bas, nous y découvrirons ce qu’il faut bien appeler des cachots ainsi qu’une salle de torture, de laquelle s’échappaient en cet instant nombre de pleurs et de supplications.


Madame de Longueville s’y tenait droite et hautaine devant la pauvre Caroline, les mains toujours liées dans le dos, et maintenue par deux gardes du corps.

— Je vous en prie, Madame, sanglotait la princesse, je ne suis pas votre ennemie. Laissez-moi partir, s’il vous plaît.
— Tout dépendra de toi, Vendôme. Mais oui, sois sans crainte : tu partiras… ricana la duchesse.
— Par pitié, Madame, dit-elle en tombant à ses genoux, ne me renvoyez pas au prince.
— Je te le promets : tu ne retourneras pas là-bas. Ce n’est pas dans mes intérêts. Tu vois, nous allons nous entendre…
— Alors pourquoi m’avez-vous amenée ici ? Qu’allez-vous faire de moi ?
— Te faire partir loin d’ici. En Louisiane, où tu serviras de putain et de chienne aux peaux-rouges et aux proscrits ! dit la blonde diabolique en éclatant d’un rire cruel.
— Non… Je vous en prie… Par pitié…
— Tu connais la différence entre une chienne et une duchesse, catin ? C’est la valeur du collier qu’on lui passe autour du cou. Et voici le tien… Tenez-la bien, vous autres !


Longueville passa autour du cou de Caroline un de ces colliers de fer servant à entraver les prisonniers et les esclaves.

— Je vous en supplie, Madame… Je ferai tout ce que vous voudrez…
— Tout ce que je voudrai ? Bien. Nous allons voir ça, catin. Voyons ce que t’a appris ton beau chevalier…
— Que voulez-vous dire ?
— Nous allons voir si tu es aussi douée que lui pour les choses de l’amour… Viens me lécher la chatte, catin ! Je suis trempée, toute excitée par tes larmes.


Le désespoir de Caroline fit place au dégoût, puis à la colère, puis à la révolte.

— Jamais, espèce de folle ! Vous êtes une dépravée ! Jamais vous ne me forcerez à cela.
— Tu as raison : jamais je ne te forcerai. Les chiennes obéissent sans qu’on ait besoin de les battre. Et tu obéiras bientôt à chaque ordre que je te donnerai, fais-moi confiance… Descendez la fillette.


L’un des gardes du corps de la duchesse actionna une poulie et l’on vit alors descendre une de ces cages de fer suspendues à des chaînes qui avaient tant servi au royal ancêtre supposé de madame de Longueville. Caroline y fut bientôt enfermée, malgré des hurlements et des supplications qui auraient apitoyé n’importe quel bourreau. Mais chacun sait combien une femme ayant décidé d’en faire souffrir une autre peut se montrer inflexible.

— Nous verrons bien, Vendôme, si tu es toujours décidée à désobéir après deux jours dans l’obscurité, sans boire ni manger. Quant à moi, je vais terminer ce que j’ai commencé. Tu voulais retrouver ton beau chevalier ? Tu le verras bientôt. Il a échappé à mes spadassins ; mais rassure-toi : il ne m’échappera pas, à moi !


Les trois tourmenteurs sortirent et la porte se referma, laissant Caroline dans le noir, seule, et cette fois sans espoir de secours.
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Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Empty
MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime12/1/2016, 21:39

DANS LA MAIN DE DIEU




Persuadé que le lecteur n’aura pas le cœur de laisser Caroline de Vendôme seule et abandonnée dans l’obscurité de cet odieux endroit, nous nous efforcerons de lui tenir un temps compagnie. Hélas, des siècles entiers nous séparent, et nous ne pouvons que compatir sans qu’elle le sache le moins du monde. À moins que, par un de ces miracles de l’Univers que personne n’est capable d’expliquer, notre sympathie (dans le sens premier du mot, c’est à dire : « souffrir avec ») ne puisse lui être transmise par la seule force de notre pensée.


On aurait tort de croire que la marche du temps est la même pour chacun d’entre nous. Les heures de plaisir sont toujours plus courtes que les heures de souffrance ou d’angoisse, et ces deux jours d’enfermement allaient paraître une éternité à notre belle héroïne.


C’est tout d’abord le froid qui se fit sentir en premier. La chemise que la princesse portait lors de l’assaut des sicaires de Longueville lui avait été arrachée, la laissant totalement nue. Nous n’étions qu’au début du printemps, et les sous-sols de la résidence où elle était prisonnière étaient encore glacés.

Un froid qui la faisait grelotter et auquel l’étroitesse de sa cage de fer empêchait toute échappatoire dans la mesure où elle ne pouvait ni s’y tenir debout, ni s’y allonger dans une position qui lui aurait permis de trouver un peu de confort.


Puis vint la faim… Caroline avait certes l’habitude de se contenter de repas frugaux, mais cela faisait presque une journée entière qu’elle n’avait rien mangé. Elle sentait son ventre se nouer ; son estomac se mit à la torturer à son tour, et tout cela augmentait la sensation de froid…

Puis la soif… Elle vint après. Supportable au début, elle se fit de plus en plus lancinante au fur et mesure que les heures passaient. La seule façon de l’oublier un peu aurait été de dormir, mais comment trouver le sommeil dans de telles conditions de détention ?


Alors Caroline s’accrocha à la seule pensée capable de la soutenir encore un peu. La duchesse de Longueville avait affirmé qu’Aramis lui avait échappé. Et elle savait que jamais son chevalier servant ne l’abandonnerait à son sort. Elle l’imaginait abattu, certes, mais elle le savait furieux, en train d’imaginer quelque plan pour la sortir de là. Et elle savait qu’il n’était pas seul. Elle mit ses derniers espoirs dans ses trois compagnons des derniers jours, et elle qui ne croyait plus en Dieu depuis tant d’années se décida à prier.


Ah, chère Caroline… Si vous aviez su en cet instant comment la main de Dieu guidait les cinq (et non plus trois) compagnons qui venaient à votre secours, ce n’est pas des prières désespérées que vous lui auriez adressé, mais un concert de louanges.




**************




À quelques lieues de l’hôtel privé de madame de Longueville, un carrosse tiré par quatre chevaux avançait lentement dans la nuit, accompagné par deux hommes en armes. Le long manteau noir qui enveloppait chacun d’entre eux et le visage que tous gardaient baissé sous son chapeau assuraient leur complet anonymat. Cependant, le lecteur attentif à l’histoire aura compris de qui nous parlons. D’autant plus que la taille gigantesque de l’un des cavaliers ne lui laissera aucun doute sur son identité.


Porthos, donc, était heureux. Si ses compagnons étaient à cette heure plongés dans des méditations plus ou moins profondes, lui était tout à son bonheur de servir. Il aimait l’aventure, et ne doutait jamais que le succès couronne ses entreprises. Pour lui, les choses étaient d’une enfantine simplicité. Il était invincible, et ses compagnons étaient les plus fines lames du royaume. Il s’était amusé en écoutant ses quatre autres amis préparer leur plan avec autant de minutie que de rigueur. Lui, ce plan, il l’avait en tête depuis bien longtemps : on entrerait chez madame de Longueville, on transpercerait quelques corps, fracasserait quelques crânes, on délivrerait la princesse et on repartirait. Et ensuite, on ferait la fête, palsambleu !


D’Artagnan conduisait le carrosse. Et lui aussi était heureux. Il avait retrouvé ses amis, et s’était rendu compte avec autant de bonheur que de surprise que leur amitié était intacte. Rien n’avait changé… Porthos était toujours aussi généreux, Athos continuait d’agir en frère aîné de leur confrérie ; quant à Aramis, il était toujours en quête de cet Absolu qui le rendait presque mystique au moment de l’action et le faisait redevenir guerrier au moment de la réflexion. Il avait trouvé cet Absolu dans les beaux yeux vert émeraude de Caroline et après tout, pensait d’Artagnan, celui-là en valait bien un autre, pourvu qu’il y trouve son bonheur. Il pensa à son Augustine. Ah, comme il aurait voulu en cet instant la voir avec les mêmes yeux que son ami voyait sa bien-aimée… Il se promit d’essayer à son retour.


Athos était sans doute le seul à s’inquiéter. Oh, certes pas pour sa vie : il était prêt depuis bien longtemps à la sacrifier pour une cause qui en valait la peine, et celle qui le menait à la bataille en cet instant lui semblait l’être. Mais il aimait passionnément ses amis et redoutait qu’il ne leur arrivât malheur. Il savait depuis longtemps qu’au combat le hasard est incontrôlable. Ses compagnons avaient beau être les plus aguerris, les meilleurs épées du royaume de France, il avait beau reconnaître que leur plan était ingénieux dans sa simplicité et avait tout prévu, il savait que parfois le sort décide d’être défavorable et que dans ces moments plus rien ne se passe comme on le souhaite. Et, plus encore que la vie de ses compagnons, il craignait pour la vie de Caroline, tant il connaissait la cruauté de la duchesse de Longueville.


À l’intérieur du carrosse, Aramis faisait face à Rochefort et essayait de lire dans le fond de ses yeux. Qui donc était-il ? Pouvait-on vraiment lui faire confiance ? Qui servait-il à part lui-même ? Aux ordres de Beaufort, il était en mission pour le Mazarin qu’il prétendait trahir au profit des anciens mousquetaires, tout en haïssant Longueville dont il était encore sans doute amoureux… On arrivait au dénouement de l’histoire ; il allait falloir que chacun abatte ses cartes. Quelles étaient donc les cartes de Rochefort ?

— Nous arrivons, je crois, Chevalier…
— Oui, nous touchons au but.
— Alors il va falloir que je vous lie les mains.
— Serrez fort, je vous prie. Il faut que tout cela ait l’air vrai.
— Vous pouvez compter sur moi ; j’ai encore en mémoire un de vos coups d’épée qui m’a laissé deux mois avec le bras en écharpe.


Aramis joignit ses mains dans le dos en frémissant.




**************




Madame de Longueville avait l’art et la manière de toujours obtenir ce qu’elle voulait. Avec les hommes, cela avait toujours été d’une extrême simplicité, et somme toute assez ennuyeux. Avec les femmes, cela nécessitait de faire preuve de beaucoup plus d’imagination. Et lorsqu’il s’agissait de faire souffrir, de mettre à la torture, elle en avait à revendre.


Elle avait dit deux jours sans manger ni boire, et elle savait parfaitement ce qu’elle faisait. Au bout de deux jours, le corps commençait à s’habituer et on ne ressentait plus la faim de la même façon. Quant à la soif, il ne fallait pas excéder trois jours au risque de provoquer d’irréversibles séquelles. Or, elle ne souhaitait pas la mort de sa prisonnière : elle souhaitait son abaissement et sa déchéance. Retz avait demandé à ce que son sang ne coule pas ; il ne coulerait donc pas. Mais plus rien ne resterait de la « princesse » quand elle en aurait terminé avec elle. Elle serait devenue une esclave docile, prête à embarquer pour la Louisiane, et on en tirerait un bon prix.


La duchesse descendit donc avec deux gardes dans la salle de torture où elle retrouva Caroline, qui dès qu’elle la vit s’accrocha aux barreaux de sa cage et la regarda d’un regard à la fois terrifié et implorant.

— Donnez-lui à manger ; je ne tiens pas à ce qu’elle meure de faim tout de suite, ordonna Longueville à un des gardes qui apporta à Caroline un petit bol de poisson dont elle s’empara et dévora le contenu.


C’était bien évidemment un piège odieux, une fois de plus. Le poisson était abondamment salé et ne faisait que renforcer la soif de la pauvre Caroline. Mais la faim lui tenaillait tellement l’estomac qu’il lui était impossible de ne pas manger. Elle eut bientôt terminé le bol en entier.

— Tu en veux encore, petite chienne ?
— Je veux à boire… S’il vous plaît…
— Tout à l’heure, si tu es bien sage. Resservez-lui du poisson.


C’était horrible à voir. La pauvre enfant ne pouvait s’empêcher d’avaler goulûment ce repas empoisonné qui allait la mettre totalement sous la coupe de sa terrible geôlière. Elle termina à nouveau son bol de poisson séché.

— À boire, Madame… S’il vous plaît…
— Soit. Tu vois, je ne suis pas si mauvaise.


Longueville remplit d’eau une coupe aux bords assez larges et la tendit à Caroline. Hélas, cette coupe ne passait pas entre les barreaux de la cage.

— Eh bien, chienne, fais un effort quand même !
— Je… je ne peux la prendre, Madame.
— Alors tant pis pour toi ! Ah ah ah…


Et Longueville but la coupe lentement devant sa prisonnière, qui se remit à supplier.

— S’il vous plaît, Madame… Je vous en prie… Je vous en supplie…
— Es-tu prête à faire cette fois tout ce que je te demanderai, catin ?
— Oui… Oui, Madame ; tout ce que vous demanderez.


À cet instant, la porte s’ouvrit et un garde interrompit la conversation.

— Madame, le comte de Rochefort demande à vous voir d’urgence ; il amène avec lui un prisonnier.
— Bien. Faites-le entrer, et priez-le de m’attendre. Je suis à lui dans quelques instants.


Puis, se retournant vers Caroline :

— Tu attendras un peu avant de boire, petite chienne. Non, ne pleure pas. Rassure-toi ; je n’ai qu’une parole : tu pourras bientôt laper tout ton saoul la chatte humide de ta maîtresse encore pleine du foutre de ton amant.
— Non… Pas Aramis… C’est impossible !
— Bien sûr que si.
— Ne lui faites pas de mal, je vous en conjure…
— Lui faire du mal ? Pour qui me prends-tu ? Je vais lui faire beaucoup de bien, au contraire… Et comme je suis bonne fille, je lui permettrai de te faire ses adieux pendant que tu t’occuperas de me satisfaire. Car je doute qu’il survive longtemps ensuite, le cœur déchiré par le chagrin lorsqu’il saura la putain que tu seras devenue. Eh oui, petite chienne, c’est toi, et toi seule qui tueras Aramis. Ah ah ah…




**************




Rochefort entra dans le boudoir de madame de Longueville en poussant Aramis sans ménagement devant lui. Il tomba, les yeux baissés et totalement vides d’expression aux genoux de la duchesse qui le regarda de toute sa hauteur, s’assura que ses poignets étaient bien liés dans le dos, et sembla se désintéresser de lui complètement. Elle avait son jouet, un de plus… Elle s’attendait à plus de joie, à ressentir plus de désir envers cet homme qui lui avait donné tant de plaisirs. Elle se demanda finalement ce qu’elle pourrait bien en faire. Elle reporta son attention sur le comte.

— Eh bien, Rochefort, quelle surprise !
— Une promesse est une promesse, Madame, et vous savez comment je tiens les miennes.
— Je dois reconnaître que je vous ai sous-estimé, mon ami.
— C’est hélas le cas de bien des gens qui ne sont plus là pour en témoigner.
— Qu’est-ce à dire, comte ?
— Que j’ai rempli ma part du marché, et que je compte bien désormais sur votre loyauté.
— Vous savez qu’elle vous est acquise.
— Soit ; alors je vous livre le chevalier d’Herblay, mais en échange, j’attends que vous me permettiez de remplir ma mission en me livrant madame de Vendôme.
— Ce serait avec plaisir, comte, mais j’ignore où cette garce se trouve à l’heure qu’il est.
— Pardonnez-moi, Madame, mais j’ai de sérieux doutes à ce sujet.
— Vous ne devez pas douter de moi, Rochefort… jamais. Vous savez bien ce que j’ai toujours éprouvé pour vous.
— Oui, Madame : du mépris, je sais.
— Comment osez-vous ?
— Et vous, comment osez-vous ? Je vous ai vue de mes yeux enlever la princesse de Vendôme, et vous avez encore le front de me mentir ? Ah, Madame, comme je suis déçu ! répliqua Rochefort en tirant son épée.
— Mon pauvre Rochefort, vous êtes complètement fou. Comment imaginez-vous sortir d’ici vivant en vous en prenant à moi ? Gardes !


La porte du boudoir s’ouvrit violemment. Athos, Porthos et d’Artagnan firent irruption.

— Je crains que vos gardes du corps ne soient « légèrement indisposés », dit d’Artagnan en souriant.
— Mon Dieu, qu’avez vous fait ?
— Pardieu, nous sommes entrés, répondit Porthos dans un grand rire.
— J’espère que vous nous pardonnerez d’avoir mis un peu de désordre dans votre salle de réception, s’excusa onctueusement Athos.
— Et maintenant, Madame, reprit Rochefort avec un rictus haineux au coin des lèvres, je crois qu’il va vous falloir répondre de vos actes.


Aramis releva la tête pour la première fois et regarda dans les yeux la mante religieuse qui avait été sa maîtresse, si longtemps auparavant. Mais il n’y avait aucune compassion, aucune pitié dans son regard.

— C’est l’heure du jugement, Madame. Quel dommage que vous ne croyiez pas en Dieu… Lui seul à cette heure pourrait encore avoir pitié de vous.




**************




Caroline fut promptement délivrée et recouverte de la chaude cape de Porthos. Aramis lui porta une coupe d’eau fraîche aux lèvres.

— Bois lentement, mon amour… Bien… Ne t’inquiète pas, il y en a suffisamment pour étancher ta soif.
— Oh, René, j’ai eu si peur…
— C’est terminé maintenant ; tu ne crains plus rien.
— Peur pour toi, idiot !
— Pour moi ?
— Ma petite soubrette sans défense…
— Veux-tu te taire, sorcière ! se défendit-il en l’embrassant.


Pendant ce temps, un petit tabouret de bois avait été installé au centre de la pièce, sur lequel avait pris place madame de Longueville qui, malgré la délicatesse de sa situation, avait gardé un air d’arrogance insupportable. Le comte de Rochefort, toujours l’épée à la main, prit la parole en premier :

— Madame, voici venu pour vous le temps de répondre de vos crimes. Et ils sont innombrables : trahisons, enlèvements, tortures, assassinats. Je demande la mort !
— Attendez, Rochefort, intervint Athos ; je ne veux pas me montrer envers cette créature plus clément qu’il ne faudrait, mais je voudrais cependant vous faire part de mon point de vue avant que vous n’exécutiez cette diablesse.
— Je vous écoute, Athos.
— Nous parlions vous et moi à cœur ouvert l’autre jour, et nous avons évoqué le fait qu’il était important pour vous de préserver toujours vos intérêts.
— En effet.
— Eh bien, je doute que vos intérêts ne soient compatibles avec l’exécution de madame de Longueville.
— Il est parfois des moments de nos vies où il faut écouter son cœur, mon ami.
— Je n’en doute pas. Mais écouter son cœur, ce n’est pas se laisser aveugler par la haine. Si vous tuez madame de Longueville, vous deviendrez à vie l’ennemi du prince de Gondi. Il réclamera alors votre tête au Mazarin comme à monsieur de Beaufort. Nous ne sommes tous ici que des pions sur l’échiquier des grands du royaume ; personne ne pourra dès lors intervenir en votre faveur. Vous aurez fait couler du sang royal. Vous connaissez la peine encourue : la roue, l’écartèlement, puis la décapitation.
— Mais il faut bien que justice soit rendue, Athos. Il ne s’agit pas que de moi seul.
— Considérez également l’avis d’Aramis et de madame de Vendôme.
— Pour moi, dit Aramis, cette femme doit être mise hors d’état de nuire. Or, il apparaît qu’elle serait nuisible de part sa mort elle-même. Nous pourrions la remettre entre les mains du Mazarin.
— Pour quels motifs ? demanda d’Artagnan.
— Pour m’avoir fait assassiner, ainsi que Caroline. Ainsi, le Mazarin sera impitoyable envers elle, et personne ne nous cherchera plus.
— Voilà qui est fort habile ! s’exclama Porthos. Allons, qu’on l’attache et qu’on la mène au Mazarin. Ensuite, nous irons à l’auberge du Bon Moine, et…
— Inutile, Messieurs… LE Mazarin s’est déplacé jusqu’à vous !


Tous levèrent les yeux et découvrirent avec effroi le cardinal Premier ministre descendant les escaliers accompagné d’une trentaine de mousquetaires gris.

Ils tirèrent leurs épées, se préparant à livrer un combat bien inégal et cette fois perdu d’avance.

— Allons, Messieurs… Rangez donc vos armes. Elles ne seront d’aucune utilité dans l’affaire qui nous préoccupe.
— Je suis au regret, Votre Éminence, dit d’Artagnan, mais nous savons le sort qui nous attend et nous préférons choisir notre mort… avec votre permission.
— Vous ne l’avez pas, capitaine d’Artagnan. Vous êtes aux arrêts. Huit jours, pour avoir désobéi.
— Que Votre Éminence me pardonne, mais huit jours me semblent bien légers pour une désertion. Et je ne suis que lieutenant, pas capitaine.
— Vous l’êtes depuis ce matin.
— Diantre, est-ce ainsi que l’on punit les renégats aujourd’hui ?
— Oh, si j’avais été seul à décider, vous seriez resté lieutenant. Mais il s’avère que la reine s’est souvenue de vous, et d’un menu service que vous lui auriez rendu autrefois.
— S’il plaît à Votre Éminence de me montrer l’ordre de ma nomination…
— Je suis désolé, mais je ne l’ai pas emporté avec moi. La coutume veut que l’on me croie sur parole.
— Vous voudrez bien pardonner mon jeune ami, Votre Éminence, mais habitué comme il est aux gasconnades…
— Ah… Comte de la Fère, sans doute ?
— Athos, pour vous servir.
— Il serait temps… Les mousquetaires ont besoin d’hommes de votre trempe. Je ne comprends pas ce qui a pu vous faire quitter cet ordre si prestigieux.
— Beaucoup de temps à courir sur les routes, un âge qui avance, et un fils à élever.
— J’ai besoin d’instructeurs de qualité, comte. Et la reine a demandé que l’on double votre solde.
— Avez-vous des ordres écrits de sa part ?
— C’est une manie, décidément, que la méfiance chez les gens comme vous !
— Les gens comme nous restent vivants plus longtemps que les autres, Votre Éminence.
— Et ce géant qui s’apprête à nous charger comme un taureau… Monsieur Porthos ?
— Son Éminence ne pourra rien me promettre : j’ai déjà tout.
— Heureux homme…
— Mais quoi que vous me proposiez, je suivrai mes compagnons où qu’ils aillent, fût-ce en enfer.
— Le Louvre en est un, Monsieur Porthos… Voilà pourquoi j’ai tant besoin d’anges gardiens. Ah, comte de Rochefort, vous êtes le seul à avoir mérité ma confiance pleine et entière dans cette affaire. Il va de soi que vous avez acquis définitivement votre liberté.
— J’imagine que vous n’avez pas sur vous les sauf-conduits nécessaires et qu’il me faut vous accompagner au Louvre pour les obtenir ?
— Bien entendu. Quant à vous, Madame de Vendôme, vous n’êtes pas ici. Je ne vous ai jamais vue, ni votre confesseur jésuite… qui peut également ranger son épée.
— Alors, Messieurs, j’attends !
— Je suis désolé, Votre Éminence, reprit alors d’Artagnan, mais nous ne sommes pas convaincus.
— Et vous êtes prêts à vous battre jusqu’au dernier ?
— Hélas oui, Votre Éminence.
— Ne vous l’avais-je pas dit, Giulio ? Ces hommes sont intraitables, d’un courage immense, et parfois complètement fous ! triompha Anne d’Autriche en descendant l’escalier.


Immédiatement, toute la petite troupe mit un genou à terre en présentant les armes.

— Vous voyez, mon ami, reprit la reine ; insensibles à vos promesses, et totalement dévoués à la Couronne.
— Alors pourquoi leur donner tant, Madame, quand il suffisait que vous leur ordonniez ?
— Parce que tel est mon bon plaisir, Giulio.
— Madame, je vous en conjure, ne tenez jamais pareil propos devant le petit roi. Imaginez qu’il reprenne un tel mot quand viendra pour lui le temps de régner ; imaginez ce qu’en diraient les historiens…
— Madame, Messieurs, tout ce qu’a promis le Premier ministre sera tenu. Bien entendu, Messieurs Porthos et Athos, si vous ne vouliez pas rejoindre immédiatement les mousquetaires, sachez qu’aucune obligation ne vous est faite. Mais si vous en ressentiez l’envie un jour, alors vous seriez les bienvenus.
— Quant à vous, Madame de Longueville, reprit Mazarin, je ne puis vous faire mettre aux arrêts sans déclencher une guerre civile à Paris. Le chevalier d’Herblay à entièrement raison de penser que vous êtes l’incarnation du mal absolu. Cela dit, je vous conseille vivement de quitter Paris.
— Et pourquoi donc ? répondit la duchesse avec un air de défi.
— Disons qu’il arrive parfois des accidents, même aux gens de votre condition. Hélas, nul n’est vraiment intouchable lorsque la destinée prétend s’en mêler.




**************




Anne d’Autriche et Mazarin repartirent alors comme ils étaient venus. Les compagnons se retrouvèrent dehors devant le carrosse, et ce ne fut plus que rires, force accolades et embrassades. Puis on se décida à rentrer à Saint-Germain.

Aramis aidait Caroline à monter dans son carrosse lorsque soudain un cri retentit :

— Caroline, je t’en supplie, ne fais pas ça !


Tous se retournèrent et virent une ombre s’approcher.

— Je t’aime Caroline… Je n’ai jamais su te le dire ni te le montrer, mais tu es la seule femme que j’ai jamais aimée. Je t’en prie, ne pars pas ; la vie sans toi ne vaut pas la peine d’être vécue.


Caroline blêmit. Elle avait attendu pendant des années que Philippe sache lui parler ainsi, à cœur ouvert. Elle l’avait tant aimé, lui aussi… Mais il avait semblé si insensible à cet amour. Et aujourd’hui, elle aimait follement Aramis.

— Chevalier d’Herblay, reprit Philippe de Vendôme, je puis comprendre vos sentiments, mais je ne puis les accepter. Dieu m’en soit témoin : l’un de nous est de trop !
— Philippe, ne fais pas ça, je t’en prie ! cria Caroline. Tu n’as aucune chance…
— Si mourir pour vous est la seule façon qui me reste de vous prouver mon amour, Madame, alors s’il vous plaît, accordez-moi au moins cette dernière faveur.
— Que veux-tu que je fasse, mon amour, demanda Aramis avec une voix tremblante d’émotion.
— Je ne sais plus… J’ai tellement espéré entendre ces mots sortir un jour de ses lèvres…


Aramis avala difficilement sa salive et sentit son regard se voiler.

— Veux-tu que je renonce à toi ? Il te suffit de me le demander, tu sais très bien que j’obéirai.
— Non. Je ne veux pas renoncer à notre amour. Mais comment quitter cet homme que j’ai tant aimé… et que… j’aime encore ?
— Alors, que Dieu choisisse, répondit Aramis s’avançant vers le prince en tirant son épée.


Le combat s’engagea devant les yeux de tous. Caroline lança un regard suppliant à Athos, lui demandant de séparer les deux adversaires, mais ce dernier lui répondit « non » de la tête. Cela n’aurait rien réglé… Il fallait une fois de plus s’en remettre à cette Divine Providence qui ne les avait jamais abandonnés.


Aramis comprit rapidement que le combat était inégal. Philippe de Vendôme était fort et savait se battre, mais il était évident qu’il agissait par désespoir et qu’il recherchait sa propre mort plus que celle de son adversaire. Et pour cause : il n’avait rien entendu des mots que Caroline lui avait murmurés sur les marches du carrosse. Il profita alors d’un moment où ils étaient suffisamment proches l’un de l’autre pour l’agripper par le cou et, le serrant contre lui, parla à son oreille :

— Cessez donc de chercher la mort, Philippe ; votre sacrifice est inutile. Caroline vous aime.
— Elle m’aime, dites-vous… mais elle part avec vous.
— Non.


Le prince baissa sa garde.

— Je ne comprends pas, d’Herblay.
— Elle vous aime, et vous l’aimez. Je n’ai pas le droit de vous la prendre.
— Vous allez donc disparaître de sa vie ?
— Je doute que cela soit possible… Philippe, nous aimons la même femme, et Caroline nous aime vous et moi. Si l’un de nous disparaît, nous la perdrons tous les deux.
— Vous voyez bien que ce problème n’a pas de solution.
— Vous êtes son mari et vous venez de prouver votre amour ; je n’ai plus le droit de vous l’enlever. Vous avez un cœur noble, je n’ai pas le droit de le briser. Je ne vous demande que deux choses.
— Lesquelles ?
— Le droit de la voir trois jours par mois tant qu’elle voudra de moi… et votre amitié.
— Et que comptez-vous faire durant ces trois jours que vous demandez ?
— Lui offrir le peu qui lui manque. Philippe, je ne suis pas prince comme vous. Je mène une vie de combat et de fureur ; je doute que cette vie puisse convenir à celle que nous aimons, vous et moi. C’est auprès de vous qu’elle sera heureuse, si vous continuez de l’aimer ainsi.
— Mais… vous pleurez, d’Herblay ?
— Trois jours par mois, Prince… C’est tout ce que je demande en plus de votre amitié. Pour le bonheur de la femme que nous aimons tous les deux.


Philippe était désemparé. Il aurait tant voulu détester cet homme qu’il avait en face de lui, ne voir dans le chevalier d’Herblay qu’un coureur de jupons sans scrupules et sans pitié. Il découvrait une autre réalité… et il commençait à comprendre lui aussi les sentiments que Caroline éprouvait pour lui.

— Je ne sais pas, d’Herblay, finit-il par répondre. Essayons ?
— Essayons, Prince. Nous ne pouvons pas être ennemis si nous aimons Caroline comme nous le prétendons. Votre amitié ?
— Essayons… répondit Philippe dans un demi-sourire.




__________________________




Dumas n’a pas tout dit. Et l’auteur de ces lignes non plus… Il ne reste plus désormais aux lecteurs qu’à interpréter les mots, les situations, et à les recouper avec les romans écrits par l’auteur de Vingt ans après. Et à ne pas trop s’attarder sur les détails et les invraisemblances.

Cette histoire, finalement, n’est qu’une histoire d’amour et d’aventures comme tant d’autres en ont écrit.


Et bien entendu, toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant réellement existé ne saurait être que fortuite…


FIN
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Largo Winch

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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime13/1/2016, 08:25

Oh putaing, con ! Tu as de la ressource Dark Dumas ! Mais as-tu pensé que ton Aramis et sa belle pouvaient se cacher à Saint Claude, dans le Jura ? Ou à Cogolin dans le Var ?
Bon allez, je vais aller lire les longues pages que tu as publiées céans ! rir2:
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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime13/1/2016, 16:39

Largo Winch a écrit:
Aramis ayant été mon pseudo sur quelque forum ancien, il me plairait d'être ce double bien membré que la main de Klary a attribué à Dark Lord... Mais n'anticipons pas !
Le principal v c'est que tu penses que tu l'es puisque nous sommes ici physiquement dans le virtuel. Nous avons encore le droit de rêver ...et Dark Lord nous y aide!
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MessageSujet: Re: Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires   Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires Icon_minitime13/1/2016, 17:00

Je comprends que ta déesse t'aime cher Dark Lord car tu as l'âme chevaleresque et le cœur généreux.
Mais tu as aussi l'art de laisser à la vie le soin de répondre ...là où tu suggères que tout est partageable pour le bien de tous.
Finalement je crois comprendre que pour celui qui aime réellement et profondément ce n'est pas une femme que l'on partage mais un amour.
Seuls peuvent s'en offusquer les hommes qui considèrent que le mariage est un acte de propriété ou d'usage exclusif.
Le mariage est un couple et la fidélité n'est pas un usage corporel , mais un sentiment.
Oh je sais que mon propos pourra choquer moi qui suit marié à la même "déesse" depuis 42 ans. Je suis certain de la fidélité de son amour, mais je ne me suis jamais posé la question de la fidélité de son corps ...en pensée ou en action! Wink
C'est toujours en se posant les mauvaises questions que l'on s'étonne d'avoir de mauvaises réponses.
Quand on est foncièrement amoureux on peut se poser la question: "est-ce que j'apporte à ma femme tout ce qu'elle attend?"
Mais face à cette interrogation je me suis toujours demandé si je me posais la question pour elle...ou pour moi-même...et si je croirais la réponse.
Si je crois la réponse positive je serai bien prétentieux, si je ne la crois pas je serais bien sot d'avoir posé la question.
Quand à une réponse négative ... ventre saint gris qu'en ferais-je?

Cher Dark Lord j'ai exposé il y a peu un travail sur la "chevalerie de notre temps" en me demandant si les "chevaliers" du monde moderne (ils ne manquent pas "chevalier de la Légion d'honneur, chevalier de nombreux ordre) sont plus "chevaleresques que cavaliers ?". L'humour n'a pas caché le fond du sujet

Je viens de terminer un travail que j'exposerai plus tard sur "la valeur de l'engagement" ...
Voila des sujets que tu abordes indirectement dans tes pages...et qui me servent à obliger certains à faire un peu d'introspection.
C'est bien utile dans notre société d'aujourd'hui !! I love you

En tout cas un infini merci pour ton cadeau cher ami
GIBET
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Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires
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