« François reprend les thèmes
de la pauvreté volontaire
et de l’extrême austérité de vie, mais dans la joie
(ce qui le rapproche de Jésus de Nazareth),
et il le fait dans une stricte soumission au clergé,
ce qui est tout-à-fait original à l’époque »
Entretien avec le Dr Bernard Plouvier, auteur de
François d’Assise. L’utopie évangélique et l’attente de la Parousie aux éditions Dualpha.
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
À votre avis, Jean-François Bernardone, dit François d’Assise, fut-il un enfant de son époque ou un être très original ?[/b]
À ces deux questions, dont la première est le sujet essentiel des deux premiers chapitres de ce livre consacrés à l’évolution de la société occidentale, et singulièrement à celle de l’Italie des XIIe et XIIIe siècles, on ne peut que répondre « oui ».
François appartient au milieu des négociants, fort entreprenants, enrichis grâce à la fin de la grande période d’anarchie des Xe-XIe siècles et à la reprise du commerce interrégional, voire international.
C’est également un jeune homme nourri de romans chevaleresques et de chansons vantant l’amour courtois (on dit à l’époque le « fin’amor »), également influencé par les nombreux prédicateurs austères, qui prônent un retour à ce qu’ils nomment l’idéal de la pauvreté évangélique.
Comme bien des gens à son époque, qui est celle de la seconde vague d’expansion de l’islam, menée par les Turcs seldjoukides et les Kurdes, en relais des Arabes et Berbères en déclin, il croit proche la venue de l’Antichrist qui doit précéder, à moyen terme, le retour glorieux du Christ : la Parousie.
Au XIIIe siècle, bien plus qu’aux alentours de l’An Mil ou de l’année 1033, on croit proches la « fin des temps » ou l’éclosion du Troisième Âge de l’humanité, celui du règne de l’Esprit Saint. L’ambiance est très voisine de celle des deux siècles qui encadrent la vie de Jésus de Nazareth.
Toutefois, François tranche sur la foule des prédicateurs et ce livre tente de déterminer sa spécificité, qui est un curieux mélange de spiritualité, de poésie, de joie de vivre et de masochisme.
[b]Sa vie se déroule-t-elle dans un contexte de calme ou de tempête ?François vit en pleine époque de la guerre de cent ans qui oppose les papes à la dynastie impériale des Hohenstaufen. François, né dans une ville plutôt gibeline (impériale) joue d’abord au soldat (ultra-médiocre !) de sa cité contre la rivale papiste (Pérouse), puis tente de rejoindre l’armée pontificale qui ravage le nord du royaume de Naples (appartenant à l’empereur). François, qui rêve de gloire, se rend vite compte qu’il n’est pas un soudard, mais un poète et un prédicateur. C’est un tendre dans un monde de brutes et cela va énormément plaire aux femmes, aux lettrés, aux paysans et aux artisans pacifiques.
En outre, l’Église catholique traverse une période de turbulences qui annonce celle de la Réforme.
Quelle fut sa part dans le renouveau spirituel de l’Église en crise, au sein des grands courants réformateurs ?François reprend les thèmes de la pauvreté volontaire et de l’extrême austérité de vie, mais dans la joie (ce qui le rapproche de Jésus de Nazareth), et il le fait dans une stricte soumission au clergé, ce qui est tout-à-fait original à l’époque. Lorsque François débute sa vie de prédication, cela fait près de deux siècles que les réformateurs s’attaquent à la hiérarchie ecclésiastique, sous prétexte de la médiocrité intellectuelle et spirituelle ou de l’indignité de la vie de nombreux prêtres et prélats.
François d’Assise, l’idéaliste forcené, le « stigmatisé » tant aimé des croyants, fut aussi un homme qui connut, malgré son charisme exceptionnel, de cruelles déceptions.
Quand l’on vit dans l’absolu, il est inévitable que le contact avec les trivialités quotidiennes, que les querelles de personnalités fortes créent des tensions, suivies de rudes désillusions.
La grandeur de François fut de ne jamais dévier de son idéal… alors même qu’il avait compris que, sitôt sa mort, son Ordre dévierait probablement de la route qu’il avait tracée.
Qu’apporte l’étude médicale à la compréhension des tourments de l’homme qui créa l’Ordre des Frères mineurs (les Franciscains) et supporta jusqu’à sa mort, avec joie, les pires souffrances de maladies invalidantes ?Il est fort tentant pour un médecin spécialisé en immuno-pathologie de faire la synthèse des diverses maladies de François qui font suite à son séjour au Moyen-Orient, lors de la 5e Croisade. Du trachome aux « stigmates », l’on peut trouver un fil conducteur, qu’il serait facile d’argumenter par une technique biologique simple appliquée à un minuscule fragment tissulaire prélevé sur la momie de François… mais certains crieraient à la profanation !
François d’Assise. L’utopie évangélique et l’attente de la Parousie de Dr Bernard Plouvier, éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa, 316 pages, 27 euros.