Prière du vieux soufi le lendemain de la fête
ou le poème suspendu… recueil de Jalel El Gharbi.Suspendu entre Orient et Occident, la prière du vieux soufi, poème, donne corps à l’utopie, que son auteur Jalel El Gharbi nomme « Orcident ».
Fleur d’Orient ouvrant ses volets en OccidentCe matin tu fais un chiasme
Occident en Orient
Donner corps à cette utopie, telle est la tâche du poème et du poète.
Jalel El Gharbi, dans un souffle qui s’origine dans la mystique soufie ne relâche pas le rythme issu de la fête et conduit son lecteur d’Occident à un état de réception qu’on n’ose appeler « extase » tant les images, les lieux évoqués , les Noms-repères sont des trésors signifiants dans la multiplicité des ressources de la langue poétique créée sur une ligne qui ondoie telle une danse de derviche.
Dicibles, les symboliques de l’Orient soufi, lettres et couleurs, ses poètes Ibn Arabi, Roumi deviennent des présences vivantes qui irradient d’éclats nouveaux les préoccupations existentielles de tout sujet humain, modeste terrien, grain de sable ou de lumière errant dans le ciel de Qays, poète pré-islamique, dont « le poème suspendu » écrit dans les nuées ou sur le sable devient l’archétype de l’errance du sujet moderne.
Ces retrouvailles ontologiques s’ouvrent à tous les horizons :
Plus loin vers l’Ouest
Là où les hommes donnent au calame un autre sens
Travaillent la pierre et la peinture autrement
Et apprennent autrement
La rhétorique et la séduction
Mais aiment comme nous
Tu seras l’est de leur Ouest
Et grandira la part de L’Ouest en toi
L’ouverture émouvante donnée par deux vers du poète Hölderlin qui dit sa déréliction ouvre la prière du vieux soufi adressée aux figures de l’Autre : Dieu, Amour.
Au lendemain d’une fête que l’on suppose chargée des ivresses du vin, le vieux soufi en vient à implorer Dieu : Comment dire l’Amour ? Comment écrire Amour ? Comment s’approcher d’Amour ? La rencontre terrestre est-elle Amour ou amour ?
Ce questionnement rend incandescente la source d’une culture qui est l’aliment commun : La philosophie grecque et ses Dialogues.
C’est alors que pour le lecteur s’éclaire le poids de la déréliction du poète Hölderlin quand celui-ci, dans son mal, perd son attache à l’Orient fougueux des Grecs. Quant au vieux soufi, porté par le souffle de sa tradition, il questionne « Le Grammairien » qui devient un intercesseur entre la lettre, le mirage des mots et le Livre :
Pour l’instant fais comme si le Livre était dans les livres/ Et Amour dans les amours.
Le grammairien porte un regard désabusé sur la quête du vieux soufi égaré dans la profusion des images et des réminiscences et conseille : LIS.
Le Grammairien pense que c’est pour avoir
Perdu nos images, nos métaphores et nos synecdoques
Que nous sommes devenus ombres délétères
Dans la modernité, le vieux soufi continue sa quête, près d’une fenêtre, près d’une lampe, ses souvenirs en viatique, dans un désir persistant :
Prendre un cheveu
Que l’amour a oublié
Le rapprocher de la lampe du jour
Le peser à l’aune des rêves
Un millimètre pour mille onces de bonheur
Pliez le cheveu en deux
Le rapprocher de ses lèvres
Et frôler la lampe qui y loge
Prendre le cheveu
Le caresser et retrouver l’once manquanteComme Amour dans le dialogue platonicien, il ruse et sait cacher :
Et j’ai caché cet autre vers de Hölderlin : Et aux amants une autre vie est accordée.
Ainsi est maintenue la tension de la quête : Amour ou amour ?
Tension qui est aussi finalité du poème : laisser ouvert le questionnement… .
A toi lecteur de lire et te perdre dans les lettres, s’en tenir au DAl…sans guide…sans dalil avec un nom qui est « voué aux dés »… retrouver la langue, l’intensité de la quête qui mène au poème et à l’univers du poète.
Josette Marty. Ecrivain et poète. Revue Dialogue n°137 site :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Josette Marty vit et écrit en Ile de France, près de Paris. Depuis 1984, après un premier long poème « Travail D’oral » où s’entrelaçaient narrativité et poéticité, ses poèmes et nouvelles ont été édités dans différentes revues de poésie. En 1987, elle a participé à la fondation de la revue Sapriphage, revue de création d’un lieu « pour que mutent les discours ». Avec le parrainage de Rachid Boudjedra, cette revue s’ouvrait à une langue où les effets de domination se travaillaient et s’analysaient. Josette Marty est aussi l’auteur d’un livret d’opéra pour enfants, elle travaille actuellement au livret d’une cantate. En 2004, paraissait son roman « Mort dans la neige » sur un épisode de la Résistance Maquisarde sous Occupation allemande et un poème « Source d’exils » au Trident neuf à Toulouse. Conceptrice et animatrice d’ateliers d’écriture, elle participe au comité de rédaction de la revue « Dialogue », revue de recherche en pédagogie qui explore les modes de transmission, et plus particulièrement les modes de transmission en littérature. De ce fait, cette revue questionne le rôle de l’atelier d’écriture dans cette transmission.