« L’illusion est “un décalage du réel ”»
(Pierre Edernac)
Entretien avec Richard Raczynski, auteur de
Paris, Capitale de l’Art Magique, (éditions Dualpha)
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul, paru dans le quotidien Présent)
Après l’immersion dans « le Paris de l’Illusionnisme » proposé dans votre ouvrage, le regard du lecteur sur la capitale peut-il changer ?Oui, car il va se prêter à l’exercice du jeu de piste en découvrant 365 adresses, réparties à travers les vingt arrondissements parisiens : visite des lieux (théâtres, baraques, foires, cabarets, music-halls, hôtels, cirques, cinémas) souvent inédits, pour la plupart disparus, dévoilant l’activité, l’inventivité, mais aussi la rivalité et les difficultés financières inhérentes aux protagonistes du divertissement populaire. Sans oublier les grandes (et quelquefois minuscules) Salles, qui semblent avoir traversé le temps, en conservant encore un espace dévolu à l’Art magique dans leurs programmes.
Ce Paris lié à l’univers du divertissement, est-il historique, voire littéraire ?Les deux à la fois, puisque de nombreuses attractions semblent indélébiles dans le souvenir d’auteurs transformés en spectateurs médusés : George Sand, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Honoré de Balzac, Émile Zola, Louis-Ferdinand Céline…
En quoi votre livre peut-il surprendre le lecteur ?En associant des espaces urbains à des personnalités, en décrivant les scènes où se sont illustrées les grandes étoiles de la magie (Méliès, Robert-Houdin, Houdini, Hermann, The Great Lafayette, Buatier de Kolta) englobant les brillants escamoteurs de foires, « experts en tour de gibecière », les ingénieux physicos, les distingués prestidigitateurs de salons… et en s’attardant aussi sur des acteurs moins connus de cette même famille.
Ici le réel et l’imaginaire viennent se confondre, incarnés par des personnalités au destin romanesque qui se côtoient dans un inventaire digne de Prévert : Miette Père, incarnant le Pont Neuf et ses bonimenteurs attitrés, son fils, ceux de la rue Dauphine.
Tabarin et son chapeau d’alchimiste ; Delille et son omelette (dans le chapeau !) ; Le buveur d’eau de la Foire Saint-Germain, Philippes Jouilliani, Scotto, dit Le Grand Scot romain… Sans omettre Olivier : « Le plus adroit escamoteur de Paris, où se trouvent les escamoteurs les plus adroits du monde. »
Des surprises au gré des rencontres ?De nombreuses : le forain Anatole Tolstoï promenant son spleen des lointaines steppes slaves jusqu’à son stand misérable des Gobelins ; L’homme à la poupée devenu fou, errant le long du Quai de Valmy ; le ventriloque du Café des Aveugles et son improbable collègue Borel ; la « petite banque » d’un Valentin et la « haute banque » se transmettant de père en fils dans la dynastie Corvi ; les baraques du Jardin des Tuileries de Pietro Gallici et Loramus ; Marco, la figure des terrasses des cafés, le spécialiste des séances à la postiche, dit « l’homme au fez » ; l’ambitieux Henri Lacaze et son très jeune caissier, le futur Allan Kardec ; Pierre Moreau, manipulateur inégalable, « maître de la rue » selon ses contemporains ; Charles Rabiqueau et son spectacle mécanique de la Perdrix rouge ; l’inattendu duo magique et comique composé de Cazeneuve et de l’empereur Napoléon III ; l’énigmatique comte de Cagliostro et ses déroutantes rencontres parisiennes ; Hermann Kurtz, « le Mahatma blanc » ; la mort en direct de Blumenfeld à la Cigogne ; Mataïs l’acharné à mourir ; le duel aux accents dadaïstes, opposant sur le Champ-de-Mars, Jean Chalon et Fondard de Joannique ; Macaura et ses curieuses vibrations atmosphériques ; le forain Marketti (Edouard-Jean March) s’incarnant en pourfendeur syndicaliste des concurrents déloyaux ; Charles Fossez, le fakir Birman confiant sans retenue : « Du temps où j’étais fakir, tous les matins en me levant, j’ouvrais mes fenêtres, je respirais à pleins poumons, et, pendant toute la journée je revendais à petit dose ce que j’avais respiré : du vent » ; le Cabinet Fantastique du Musée Grévin, que Pierre Bost qualifie de « sorte de temple secret où, dans l’obscurité, quelques survivants d’une religion disparue perpétuent des rites aimables et inoffensifs » ; la star féminine Benita Anguinet, célèbre au Pré Catelan pour ses bras nus, ne pouvant « donc rien dissimuler »…
Comment refermer cette parenthèse enchantée ?En citant le grand Pierre Edernac pour qui l’illusion est « un décalage du réel » ?
Paris, capitale de l’Art magique de Richard Raczynski, éditions Dualpha, collection « Insolite », dirigée par Philippe Randa, 544 pages, 39 euros.