« La menace du Grand remplacement,
suivant l’expression de Renaud Camus,
donne à ce passé de l’Algérie française
une nouvelle actualité, une brûlante actualité,
une honteuse actualité, que matérialise la volonté
d’un gouvernement français de voir flotter
le drapeau fellagha sur les Champs-Élysées
ce prochain 14 juillet »
Entretien avec Gérard Lehmann, auteur de
Albert Camus Français d’Algérie(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul pour le quotidien Présent)
La vie et l’œuvre d’Albert Camus ont fait l’objet de milliers d’articles et d’ouvrages. Avez-vous vraiment quelque chose à ajouter à cette somme ?Oui, bien sûr, mais deux observations s’imposent à ce sujet : Albert Camus et sa relation à l’Algérie occupe relativement peu d’études par rapport à cette somme. Ensuite, mis à part quelques rares et brillantes exceptions, (Jean-Pierre Brun est l’une d’elles, voir son Camus autrement aux éditions Dualpha) l’empreinte idéologique de la gauche bien-pensante s’y étale avec complaisance. Et puis, j’ai une motivation personnelle : ma famille était algéroise et mon père le camarade de Camus au grand lycée d’Alger. Cette Algérie-là est celle de mon enfance et de mon adolescence. Et la guerre d’Algérie fut la mienne.
Mais tout de même, nous venons de marquer le centenaire de sa naissance et, il y a quelques années, le cinquantenaire de sa disparition. N’y n’a-t-il pas une amélioration dans la manière de voir les choses depuis Sartre et Fanon ?Malheureusement non, et la puissance de cette gauche se manifeste aujourd’hui plus que jamais, dans les domaines de l’université, de l’édition et des médias. Je vais en donner un exemple : à l’époque de la parution des Chroniques algériennes, un an après son prix Nobel, la parution de l’ouvrage a été littéralement sabotée par cette intelligentsia : la première édition ne compte pas plus que 50 000 exemplaires, ce qui est peu pour une personnalité littéraire et philosophique telle que celle de Camus à l’époque. C’est très simple : on en n’a pas parlé… Le mur du silence. Aujourd’hui, la procédure est différente : Albert Camus est considéré comme appartenant à cette intelligentsia, il est blanchi en quelque sorte.
Le livre de Michel Onfray semble régler pas mal de comptes avec la génération Sartre ?C’est vrai que Michel Onfray recadre quelques-uns de ces bien-pensants de l’époque, dont Sartre et Beauvoir principalement, mais il n’a de cesse de glisser Albert Camus dans la niche libertaire.
Et Camus n’aimait pas les étiquettes. Les étiquettes, c’est pour les pots de confiture, aurait-il pu dire en réponse à l’ouvrage du philosophe médiatique.
Qu’est-ce qui s’oppose, après tant d’années, à une perception plus sereine d’Albert Camus et de son œuvre ?L’Algérie, avant tout, l’Algérie française. Là, il ne s’agit pas seulement de l’intelligentsia, mais du monde politique dans sa grande majorité. Gauche et gaullisme confondus. Il s’agit du sentiment de culpabilité dont on nous accable, de la repentance qu’on veut nous imposer, du mensonge qui s’étale dans l’écriture officielle de l’histoire de la France. Et puis, il est clair que la menace du Grand remplacement, suivant l’expression de Renaud Camus, donne à ce passé de l’Algérie française une nouvelle actualité, une brûlante actualité, une honteuse actualité, que matérialise la volonté d’un gouvernement français de voir flotter le drapeau fellagha sur les Champs-Élysées ce prochain 14 juillet. Un détail symbolique dans un ensemble de mesures et d’attitudes qui traduisent une rage masochiste de voir détruire notre identité française et européenne, de nous humilier. À terme, de voir notre disparition physique en tant que peuple et que nation.
Êtes-vous pessimiste ?Je suis attentif, inquiet, mais je crois, comme Dominique Venner, que les Français sont capables de réagir. Plusieurs mouvements vont dans cette direction et il faut les saluer et les accompagner. Albert Camus, Français d’Algérie, dans sa lucidité et son refus du fatalisme, est une source d’inspiration et de réconfort.
Albert Camus Français d’Algérie, Gérard Lehmann, Éditions Dualpha, collection « Patrimoine des Lettres », dirigée par Philippe Randa, 256 pages, 25 euros.