Jules Guérin, héros du Fort Chabrol‏

Entretien avec Bruno Le Pape (Association pour la mémoire de Jules Guérin)

(Propos recueillis par Fabrice Dutilleuil)



Né le 12 février 1910, Jules Guérin est connu pour s’être retranché quarante jours au 51 rue de Chabrol, à Paris, durant l’été 1899, en pleine affaire Dreyfus. D’où l’expression de « Fort Chabrol » !



Qui était Jules Guérin ?

Un ancien militant d’extrême gauche. Sa rencontre avec le Marquis de Morès et ses bouchers de la Villette, est déterminante. Guérin, lors d’une grande manifestation du Syndicat de la boucherie, dénonce « les grands capitalistes cosmopolites qui veulent détruire une industrie traditionnelle et corporative ». En 1894, l’affaire Dreyfus lui donne une envergure nationale. Impliqué dans le coup d’état manqué de Déroulède, lors des obsèques du Président Faure en février 1899, il se réfugie avec ses partisans le 12 août au siège du Grand Occident de France, rue Chabrol. Ce sera l’attraction de l’été, des milliers de cartes postales en témoignent. Les badauds affluent pendant que ses admirateurs lui lancent de la nourriture par les toits. Sa reddition a lieu le 20 septembre. Guérin témoigne dans son livre Les trafiquants de l’antisémitisme sur ses rapports difficiles avec Édouard Drumont, l’auteur de La France juive, best-seller de l’édition de l’époque.



Comment expliquez-vous le retournement de l’opinion après le Fort Chabrol ?

L’ambiance générale devient très « fin de siècle ». La propagande politique s’efface devant la croyance en une technologie censée résoudre tous les problèmes de la société. Rappelez-vous Paul Morand à propos de l’Exposition universelle, dans son roman 1900 : “On est saisi d’un vertige mondial ; on marche de surprise en surprise ; on tient l’univers dans sa main ; on se trouve pris dans un réseau d’évocations mythiques, de monuments impossibles, dans un maelström de progrès.”



Votre association commémore son souvenir chaque 12 février…

Oui, à son retour d'exil, Jules Guérin s’installa à Ablons, sur les bords de Seine où il mourut le 10 février 1910 des conséquences de la Grande Crue. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car ses obsèques sont très discrètes malgré la présence attestée de Marcel Proust, ami commun de la Comtesse de Loynes, morte deux ans plus tôt et enterrée elle aussi au cimetière Montmartre. La famille ne veut pas de scandale, la tombe restera anonyme jusqu’en… 1993 et la rencontre d’un bouquiniste parisien avec son arrière-petite-nièce qui acceptera de faire graver le marbre du caveau.



Sa sépulture est donc au cimetière Montmartre ?

Oui, derrière celle d’Offenbach. Sa tombe resta anonyme pendant 80 ans car ses activités antimaçonniques lui attirèrent une haine post-mortem. Sa canne plombée, ses cigares philippins et ses « deux poings » du Grand Occident sont ainsi vénérés chaque année…



Les trafiquants de l’antisémitisme, Jules Guérin, éditions Déterna, collection « Documents pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa, 524 pages, 35 euros.

Association pour la mémoire de Jules Guérin : (association.julesguerin@gmail.com)