La guerre
d'Algérie
1954-1962
Hachette Multimédia/Hachette Livre
La guerre d'Algérie, menée par la France de
1954 à 1962 contre les indépendantistes algériens, prend place dans le
mouvement de décolonisation qui affecta les empires occidentaux après la Seconde Guerre
mondiale, et notamment les plus grands d'entre eux, les empires
français et britannique.
Quand l'insurrection est déclenchée, le 1
er novembre 1954, l'indépendance
du Viêt-nam vient d'être arrachée – les forces françaises ont été
défaites à Diên Biên Phu, ce qui constitue un encouragement pour tous
les peuples colonisés. Quant à l'indépendance des deux protectorats
maghrébins, le Maroc et la Tunisie, elle est en cours de négociation.
Cette guerre - que, jusqu'en 1999, l'État
français s'obstina à n'appeler officiellement que par les termes
d'«opérations de maintien de l'ordre» - allait traumatiser durablement
la société française : le soulèvement des nationalistes algériens
frappait un pays à peine remis de la guerre froide ; il aller durer huit
ans et finir par emporter la IV
e République.
La
signification de la guerre d'Algérie Côté françaisPour la France des années 1950, la perte
éventuelle de l'Algérie représenterait une atteinte à son rang de grande
puissance, symbolisé depuis la fin du XIXe siècle, par sa présence
coloniale dans le monde. L'Algérie, au cœur du Maghreb, entre Afrique
noire et Proche-Orient, est la pièce maîtresse de son dispositif.
L'apport de la colonie algérienne à l'économie nationale, longtemps
limité à une agriculture commerciale dynamique, s'est transformé grâce
aux découvertes de pétrole et de gaz qui se multiplient après 1951. L'Algérie
constitue également la seule colonie française de peuplement, avec un
million d'« Européens » en 1954 (des Français, mais aussi des Italiens,
des Espagnols et des Maltais, qui bénéficient de la naturalisation
automatique), dont les avantages sont à opposer à la sous-administration
et au sous-équipement de la population musulmane. Celle-ci, de statut
coranique, en forte croissance démographique, est en partie réduite à la
misère par la crise agraire.
Côté algérienUne confiance diminuéePour les Algériens, la lutte armée manifeste
une désillusion réelle à l'égard des promesses françaises. En 1937, le
projet Blum-Viollette étendant le droit de vote à une minorité de
musulmans a été repoussé. En 1947, un nouveau statut organique est
octroyé, créant une Assemblée algérienne dont la moitié des
représentants est élue par un collège de 522’000 citoyens français, et l'autre moitié par un
collège de 1’20’0000 musulmans non citoyens ; mais, dès 1948, le vote
du collège musulman est truqué par
le gouverneur général Naegelen appuyé par l'opinion pied-noir, et donne
la majorité aux candidats musulmans de l'administration.
Un renouveau nationalisteEn 1954, le mouvement nationaliste algérien,
déjà ancien, est en pleine mutation. L'Association des oulémas (docteurs
de la loi islamique) garde une autorité surtout morale. L'Union
démocratique du manifeste du peuple algérien (UDMA), fondée en 1946 par
Ferhat Abbas, a soulevé les espoirs de la bourgeoisie musulmane, mais
elle est la principale victime de la politique du gouverneur général. Le
parti communiste algérien hésite entre autonomie et assimilation. Le
Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) de Messali
Hadj, fondé en novembre 1946, est le fer de lance du nationalisme
algérien. Il s'impose grâce à son programme - l'indépendance totale -, à
ses 25’000 militants aguerris par
la clandestinité, et aux révoltes menées par le Parti populaire
algérien — dont le MTLD est l'héritier -, dans le Constantinois, en 1945. Toutefois, l'autorité du dirigeant
du MTLD est contestée par ceux, dont Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben
Bella, qui préconisent l'action immédiate pour relancer le mouvement. En
octobre 1954, neuf personnalités – parmi lesquelles Aït Ahmed, Krim
Belkacem, Ben Bella, Mohammed Boudiaf, qui traverseront toute la guerre –
fondent le Front de libération nationale (FLN), le dotent d'une Armée
de libération nationale (ALN), et fixent l'insurrection pour la
Toussaint 1954.
La
guerre Une dimension internationaleMalgré les tentatives des gouvernements
français de présenter la guerre d'Algérie comme un problème de police
intérieure, la dimension internationale du conflit ne cessera de
croître, ce qui profitera au FLN. L'aide arabe est décisive. La
Délégation extérieure du FLN se regroupe autour de Ferhat Abbas au
Caire, siège de la Ligue arabe. Les deux pays voisins, le Maroc et la
Tunisie, servent d'arsenal, de base arrière et de camp d'entraînement
pour les combattants. Chaque tentative de l'armée française pour rompre
la solidarité de ces États souverains soulève des protestations
internationales, que ce soit lors de l'interception, en 1956, d'un avion
marocain transportant des chefs historiques du FLN, ou lors du
bombardement du village tunisien de Sakhiet Sidi Youssef le 8 février
1958, qui suscite la réprobation américaine. Les deux Grands condamnent
en effet la politique française au nom du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes, mais pour des intérêts contraires : l'URSS voit dans son
soutien mesuré au FLN le moyen d'implanter son influence au Maghreb ;
les États-Unis voient dans l'intransigeance française le meilleur moyen
pour que l'URSS y parvienne. Les pays non alignés, en permettant à la
délégation algérienne de siéger dans leur mouvement comme membre à part
entière lors de la conférence de Bandung, donnent une dimension
internationale au FLN. À partir de septembre 1955, les offensives
diplomatiques répétées des pays afro-asiatiques vont contraindre la
France à justifier sa politique devant l'Assemblée générale de l'ONU
d'abord en 1956, puis à nouveau l'année suivante.
Les forces en présenceLes généraux françaisLes opérations militaires mobilisent, à partir
de 1956, où il est fait appel au contingent, 450’000 soldats français contre 25’000 combattants algériens. Le poids du commandement
militaire ne cesse de croître ; il est confié à des officiers
chevronnés, comme le général Salan, commandant en chef en novembre 1956,
puis délégué général du gouvernement en mai 1958, avec tous les
pouvoirs civils et militaires ; son successeur, le général Challe
(décembre 1958-avril 1960), et le général Massu, qui manifeste sa
vigueur lors de la « bataille d'Alger » en 1957, sont populaires parmi
les pieds-noirs. Certains officiers plus jeunes s'engagent totalement
dans la cause de l'« Algérie française ».
Le FLNDu côté du FLN, rivalités internes, purges
sanglantes et disparitions au combat provoquent un renouvellement
partiel des dirigeants (Houari Boumediene devient chef de l'état-major
général de l'ALN en 1960). Les opérations menées relèvent de la
guérilla : attentats, attaques de détachements, sabotages, d'abord en
Kabylie et dans le Constantinois. Les 20 et 21 août 1955, des émeutes
éclatent au Maroc (le 20 août est la date anniversaire de la déposition
du sultan Sidi Mohammed ben Youssef) et en Algérie. Il s'agit de prouver
la solidarité des combattants algériens avec les autres luttes du
Maghreb, mais aussi de montrer la capacité politico-militaire du FLN. Le
bilan des émeutes est de 123 morts, dont 71 Européens, mais la
répression qui s'ensuit est disproportionnée, avec un nombre de victimes
peut-être supérieur à 10’000 (le
chiffre officiel étant de 1273 morts). Ce drame coupe de façon
irréductible les liens entre les deux communautés, et amène le
gouverneur général Soustelle, en
poste depuis le 1er février, à laisser carte blanche à l'armée. À partir
de 1956, la lutte armée se déroule sur tout le territoire, grandes
villes comprises. L'ALN dispose dans chaque wilaya, ou région militaire,
d'un double commandement, militaire et politico-administratif, sous la
direction d'un colonel. Des tensions apparaissent avec les combattants
de l'extérieur, mais le principe d'une direction collégiale est acquis
lors du congrès de la Soummam, en août 1956 ; en 1958 est créé à
l'extérieur un Gouvernement provisoire de la République algérienne
(GPRA), présidé jusqu'en 1961 par Ferhat Abbas.
La France finit par gagner la guerre sans pour
autant rétablir l'ordre. À partir de 1957, le contrôle est repris dans
les grandes villes, sur les frontières (1957-1958), puis dans les
campagnes, par étapes, jusqu'en Kabylie (1959-1960), grâce à la pratique
des «camps de regroupement». En revanche, la France perd la guerre
auprès de l'opinion, internationale et métropolitaine. Auprès des
musulmans, l'«action psychologique» a échoué : les regroupements forcés,
les exactions de l'armée française et la terreur entretenue par le FLN
rendent toute cohabitation impossible.
L'affrontement
politique La IVe République en difficultéL'impuissance de la IV
e République
à rétablir la paix est exploitée par la coalition provisoire des forces
politiques qui lui sont hostiles et aboutit à l'effondrement du régime.
En effet, face à l'échec de la politique d'intégration menée par
Soustelle à partir de 1955, et face au refus des propositions françaises
(cessez-le-feu, élections, négociations) par le FLN, les gouvernements
hésitent entre la négociation malgré tout et la guerre à outrance. Ils
laissent de plus en plus l'initiative politique à l'armée et à la rue :
le 6 février 1956, des tomates sont lancées sur le président du Conseil
Guy Mollet, qui rappelle le gouverneur général, le général Catroux, et
nomme à sa place Robert Lacoste ministre résidant. Les divisions
déchirent les partis, provoquent la rupture de la majorité de Front
républicain au pouvoir depuis janvier 1956, et le retour à l'instabilité
ministérielle des législatures précédentes (chute de Guy Mollet le 21
mai 1957).
Naissance de la Ve RépubliqueCette impuissance est exploitée à Alger, parmi
les colons, par des activistes qui cherchent à provoquer un putsch qui
contraindrait Paris à poursuivre la guerre. Ils rejoignent ainsi les
préoccupations de nombreux officiers, de plus en plus méfiants à l'égard
du gouvernement civil, et qui assimilent négociations et « trahison »
des combattants. Le 13 mai 1958, des manifestants, animés par le
président des étudiants d'Alger, Pierre Lagaillarde, investissent le
siège du gouvernement général et désignent un « Comité de salut public »
dirigé par le général Massu, avec l'accord du général Salan. À Paris,
la nouvelle de la rébellion d'Alger éclate comme une bombe : le nouveau
président du Conseil, Pierre Pflimlin, tente de préserver la légalité. Mais
dès le lendemain, Massu lance un appel au général de Gaulle,
franchissant un nouveau pas dans la rupture avec Paris. Le 15 mai, de
Gaulle se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République », mais
sans préciser davantage quelle politique il entend mettre en œuvre en
Algérie. L'arrivée de Soustelle à Alger le 17 donne un chef politique au
mouvement né du 13 mai, tout en aggravant le différend avec la
métropole. À Alger toujours, des émissaires gaullistes officieux
prennent contact avec les factieux. Le pouvoir exécutif est paralysé par
la menace d'un coup d'État militaire. Pflimlin démissionne le 28. Le
président René Coty fait alors appel au général de Gaulle. Le 1
er juin, l'Assemblée nationale l'investit avec tous pouvoirs pour élaborer
une nouvelle Constitution. Le 3 juin, de Gaulle obtient les pouvoirs
spéciaux pour six mois afin de résoudre la crise algérienne. Le
lendemain, à Alger, il lance son « Je vous ai compris! »
Une opinion publique en ruptureL'opinion publique française, initialement
favorable à la guerre, glisse vers la recherche de la paix, même au prix
de l'indépendance (en janvier 1961, le référendum sur
l'autodétermination recueille 75 % de «oui»). L'utilisation pour la
guerre d'Algérie de soldats appelés du contingent a installé le conflit
au cœur des familles ; le FLN intensifie les attentats, la métropole
n'est plus épargnée. La répression ne faiblit
cependant pas, comme lors de la manifestation des Algériens à Paris le
17 octobre 1961, qui fait plus de 200 morts selon les sources
officielles divulguées en 1997. En outre, le coût économique de la
guerre ébranle une partie de la classe politique et les milieux
d'affaires, qui voient avec inquiétude les pays concurrents se
moderniser et connaître une forte croissance. Enfin, le coût moral de la
guerre et le mépris pour les libertés républicaines que semblent avoir
l'armée et le gouvernement poussent divers acteurs à entrer en action.
L'engagement des intellectuelsLes intellectuels se mobilisent, les uns pour
les libertés, les autres pour l'indépendance algérienne (« Manifeste des
121 » en faveur de l'insoumission, septembre 1960). À Alger, quelques
isolés prônent le rapprochement des communautés, tels André Mandouze ou
Albert Camus. Rares sont ceux qui aident, clandestinement, le FLN, tels
les « porteurs de valise » du réseau Jeanson. Quelques journaux –
France-Observateur, Témoignage chrétien, le Monde –, bravant la censure
et les poursuites judiciaires, dénoncent la torture. Le syndicalisme
étudiant (UNEF) passe du refus de la guerre au soutien à l'indépendance.
Une partie des syndicats ouvriers et des militants politiques de gauche
(parti communiste à partir de 1956, parti socialiste autonome,
mendésistes, puis parti socialiste unifié) manifestent contre la
poursuite des combats, puis pour le soutien aux négociations. Une
manifestation contre l'OAS est violemment réprimée, ce qui causera huit
morts au métro Charonne en février 1962.
L'autodéterminationLa rupture de l'opinion française avec les
pieds-noirs et l'armée d'Algérie est un temps masquée par la politique
du général de Gaulle (fin 1958, le « plan de Constantine » suggère une
politique d'intégration). Mais, le 16 septembre 1959, l'annonce de
l'autodétermination fait monter en première ligne les partisans de
l'Algérie française. Dans un discours décisif, de Gaulle propose trois
voies, entre lesquelles les Algériens seront appelés à choisir :
sécession, francisation ou association. C'est la première fois que
l'indépendance peut être, de fait, envisagée. Reste cependant le
problème de la pacification de l'Algérie, sans laquelle
l'autodétermination est improbable.
L'épreuve de force éclate lors de la «semaine
des barricades» (24 janvier-1
er février 1960), avec la
complicité de certaines unités de l'armée, mais le général Challe,
commandant en chef, bloque l'insurrection. Cependant, dès l'année
suivante, la perspective de l'aboutissement des négociations entamées à
l'automne 1960 avec le FLN et de la reconnaissance d'un État algérien
souverain fait basculer Challe ainsi que les généraux Salan, Zeller et
Jouhaud dans la
rébellion. Le putsch des généraux (22 avril 1961)
échoue, faute de rallier le contingent et l'opinion française. Les
officiers factieux rejoignent alors l'Organisation armée secrète (OAS),
fondée pour s'opposer aux négociations d'Évian. Impuissante à empêcher
l'indépendance, l'OAS multiplie les attentats (en Algérie et en
métropole), les destructions systématiques et les massacres, comme la
fusillade de Bab-el-Oued en mars 1962. Les violences commises par l'OAS
ne cesseront qu'après l'accord FLN-OAS du 17 juin 1962. Dans un tel
climat de haine et de peur, 900’000
Français d'Algérie décident de quitter le pays, de se faire « rapatrier
» en France.
Les accords d'Évian, signés le 18 mars 1962,
donnent la souveraineté à l'État algérien, Sahara compris. Le principe
d'une coopération financière (intégration à la zone franc), culturelle
et technique (mise en valeur des hydrocarbures) est adopté. Une partie
des accords ne sera pas appliquée, par suite des orientations prises par
le gouvernement algérien après l'indépendance (occupation des bases
militaires, nationalisation des biens des colons, puis des hydrocarbures
en 1971). L'indépendance de l'Algérie est solennellement proclamée le 3
juillet 1962.
Le coût de la guerre en hommes est encore
discuté. L'incertitude provient moins des morts au combat que des
victimes officieuses des tortures de l'armée française ou des
assassinats dus au FLN, y compris chez les musulmans. Le chiffre de 300’000 à 400’000 morts du côté algérien est le
plus probable. On compte 27’500 militaires français tués et un millier
de disparus, et chez les civils européens 2800 tués et 800 disparus.
Les
conséquences en Algérie et en France Aujourd'hui, les liens de l'Algérie avec la
France restent étroits, grâce aux hommes (2 millions de séjours par an
en France, 820’000 immigrés), aux
accords commerciaux (un tiers des exportations algériennes de gaz à prix
garanti depuis 1982), à la
coopération technique et culturelle. L'esprit de la guerre
d'indépendance est cependant resté longtemps vivace dans la diplomatie
algérienne, fidèle au non-alignement et qui milita dans les instances
internationales (ONU, OUA, OPEP) en faveur d'un nouvel ordre économique
mondial. Le régime du parti unique, hérité de la guerre et des luttes
pour le pouvoir, suscita cependant une hostilité croissante dans
l'opinion publique algérienne, qui finit par obtenir l'introduction du
multipartisme en février 1989.
En France, le traumatisme causé par la guerre
d'Algérie est dépassé par les pieds-noirs, sans être cependant oublié.
En revanche, le cas des harkis, ces supplétifs de l'armée française,
reste le dernier vestige, douloureux, de la guerre d'indépendance
algérienne, malgré un début de reconnaissance par l'État français, en
2001, de ces combattants qui furent des dizaines de milliers à être
massacrés par les soldats de la nouvelle République algérienne.